Au vieux Luxembourg à l‘Avenue de la Gare
Au vieux Luxembourg à l‘Avenue de la Gare
Robert L. Philippart
Depuis des décennies le N°20, Avenue de la Liberté est un des grands cabarets de nuits de Luxembourg. L’immeuble prestigieux remonte à 1914 et est dû à une initiative du cafetier Adolphe Amberg, fils. Celui-ci fait partie de la grande dynastie des Cafetiers Amberg de Luxembourg.
Une dynastie de cafetiers
Adolphe Amberg (1839-1909) était le fondateur de cette famille exploitant des cafés-restaurants au Luxembourg. Amberg, époux de Marie-Louise Heins (1839-1924) avait débuté sa carrière comme commerçant de gants et de parfums à la rue Philippe II, avant d’embrasser une magnifique carrière comme cafetier. Ses débuts remontent à des concerts organisés en 1868 à la Villa Louvigny qu’il allait prendre en location peu après cet événement. A la Place d’Armes, il exploitait le Café de la Place, dont on sait que la Société de gymnastique fut locatrice de sa grande salle de réunion. Sur la même place, il gérait l’Eden Café où il installa en 1887 une « Bodega Central » servant exclusivement des vins espagnols et portugais. Amberg reprit l’Apollo Théâtre de Fritz Renquin au coin rue de Strasbourg et Place de la Gare, un des plus importants variétés-théâtres de la ville. Au parc de la Ville, il ouvrait la « Villa Amberg » non loin de la Villa Vauban, à l’emplacement de la pergola qui orne ce site aujourd’hui. Cet établissement périt dans les flammes. Pendant des années, Amberg participait à la Schueberfouer avec un restaurant servant des écrevisses et proposant un programme d’animation avec des artistes internationaux.
Son fils Lucien allait gérer le Café Alfa à la place de la Gare ainsi que le Café de la Paix au boulevard Royal. Son deuxième fils, Philippe fut le directeur du Luxor Palace Hôtel en Egypte, alors que son troisième fils, Adolphe (1864-1935) ouvrait le Café Metropole à la place d’Armes, puis reprit l’Apollo-Theater qu’il rebaptisa Casino de la Gare. Il renomma le Café Metropole en « Mikado » et surprit ici sa clientèle avec une salle en style japonais (1893). Amberg fils poursuivit la tradition de son père avec des restaurants-attractions à la Schueberfouer. En 1909, Adolphe Amberg, fils, ouvrait le Café Amberg à la place Bourbon, la future place de Paris. En 1910, il participait activement au « Flugwochen » à Mondorf-les-Bains en y organisant un « bar américain » avec 12 débits différents et mettant 50 personnes en service. Entrepreneur engagé, Adolphe Amberg est également entré dans l’histoire de la littérature, comme il est présenté comme auteur de vaudevilles et de revues satiriques au dictionnaire des auteurs luxembourgeois.
Le Music-Hall A. Amberg
En juillet 1914, Adolphe Amberg avait acquis, la parcelle N° 20 d’une contenance de 264 a à l’Avenue de la Liberté. Ce terrain émanait des anciennes friches militaires de l’ancienne forteresse. L’avenue de la Liberté était ouverte depuis 1904, le chemin de fer vicinal Luxembourg-Echternach y circulait depuis cette date. En 1908, le tramway électrique était venu s’ajouter aux connections avec le centre-ville. La section de l’Avenue entre les places de la Gare et de Paris était déjà construite à l’époque. Les hôtels de la Paix, de Paris, Moderne et Central Molitor venaient d’ouvrir leurs portes. Le siège de la Caisse d’Epargne de l’Etat à la place de Metz et l’ancienne direction des chemins de fer Guillaume Luxembourg existaient déjà.
Amberg envisageait la construction d’une maison de rapport avec Café-Théâtre. L’immeuble devait être conforme au cahier des charges et aux critères esthétiques définis par l’Etat pour l’ensemble des immeubles à ériger le long de l’avenue. Il avait chargé Albert Brick, diplômé (1900) de l’Ecole d’Artisans de Luxembourg comme architecte de son projet. Brick venait de terminer l’Hôtel Moderne, la maison de rapport N°37, Avenue de la Liberté (1910), ainsi que l’immeuble « Panam » (Place de Paris / 50, rue Sainte Zithe).
Une architecture extraordinaire
Trois grandes arcades embrassent les trois étages marqués par de grandes ouvertures vitrées. La cage d’escalier est située côté avenue et éclairée par de majestueux vitraux représentant des vues de la vieille ville ainsi que le blason de la capitale. Cette 4e travée de la façade devait souligner la subdivision de l’immeuble en « Ratskeller » et « Music-hall ». Dans les avenues à haute fréquentation, il n’était pas d’usage d’aménager les cages d’escalier à front de rue, en raison de la perte de valeur de cet espace pour le logement. La partie supérieure de la travée est ornée d’une harpe sur fond de mosaïques dorés symbolisant le caractère de music-hall de l’immeuble. L’année de construction « 1915 » est sculpté sur la façade. L’entrée aménagée dans cette travée porta initialement l’inscription « Ratskeller ». « Es handelt sich (…) um ein regelrechtes, den Bedürfnissen entsprechend, ausgestattetes Schanklokal, mit lokalem Charakter, wie Sie beispielsweise in Aachen den „Postwagen“, in Köln die „Treppchen“, und in Berlin den „Strammen Hund“ haben“ (Luxemburger Wort 24.10.1931). Tous les soirs des bals étaient donnés au sous-sol encore appelé « Caveau National » et où outre une salle de fête se trouvait un jeu de quilles.
L’entrée pour le musical s’étendait sur deux niveaux intégrant le rez-de-chaussée et le premier étage. Les trois arcades de la façade descendaient jusqu’à hauteur du trottoir. L’accès au music-hall se faisait par l’arcade principale. Deux panneaux d’affichage surmontés par des médaillons annonçaient le programme de chaque côté de la porte. La corniche qui séparait cette partie de l’immeuble portait l’inscription « Vieux Luxembourg », alors que la corniche supérieure de l’immeuble portait un balcon avec balustrade en fer forgé mentionnant « Musique Hall – A. Amberg ». L’aménagement de cette salle de variété réclamait une profondeur de 21 m pour l’immeuble, ce qui fait que celui-ci présentait aux étages deux corps distincts, l’un donnant sur l’avenue, l’autre sur la cour de l’îlot. Adolphe Amberg et sa famille habitaient l’immeuble ensembles avec des membres du personnel, le maître d’hôtel, un musicien, une artiste et un domestique. Plusieurs chambres étaient données en location.
On accédait au music-hall par un foyer-bar. La salle était entourée de deux côtés de balcons et offrait au total 200 places généralement aménagées autour de tables de consommation. De la scène, sans fosse d’orchestre, un escalier descendait dans la salle, favorisant l’animation du public. Dépourvue de coulisses, le vestiaire pour artistes était attenant à la scène. La salle était modulable en deux parties. Les sanitaires se trouvaient au sous-sol. Les clients de la salle pouvaient accéder, après le spectacle directement au jeu de quilles au sous-sol.
L’immeuble bénéficie aujourd’hui d’une protection communale et d’une protection comme élément du site « Luxembourg, vieux quartiers et fortifications », patrimoine mondial de l’UNESCO. De ce fait, il serait à espérer qu’à l’occasion de transformations de la façade, leur aspect initial sera reconstitué.
Des soirées comiques et dansantes
Adolphe Amberg et son épouse Louise Ditsch (1864-1953) n’exploitaient leur music-hall que pendant une très courte durée. Durant la première guerre mondiale, le music-hall était ouvert aux artistes locaux, dont ceux, par exemple, de la Fanfare Royale Grand-Ducale du Grund.
Déjà en 1919 Henri Jaas et son épouse Maria Housse venaient de reprendre la gestion du théâtre-variétés. Les soirées étaient hilarantes avec Jeanne Darcy, « la jolie diseuse », des comiques et chanteurs populaires. Pendant les représentations, les spectateurs pouvaient déguster les délicieux buffets servis à table. Des soirées de vaudevilles avec des troupes d’amateurs locaux ou internationaux, des concerts et des « surprises musicales » égayaient les soirées et les dimanches après-midis. Le music-hall disposait de son propre pianiste Monsieur Haching qui assurait également la régie des spectacles. En 1920, à l’occasion du Jamboree, la Fédération Nationale des Eclaireurs Luxembourgeois avait loué le music-hall en entier pour ses propres manifestations. La même année, une soirée de septembre connut un retentissement important dans la population, grâce à son programme très varié incluant un comique, des soubrettes, des airs d’opéras de Guillaume Tell (Rossini) et de Zampa (Hérold). La soirée fut clôturée sur des danses de czardas hongrois.
A l’occasion de la Journée du légionnaire en novembre 1920, plusieurs artistes luxembourgeois ont interprétés dans le cadre d’un concert de bienfaisance, des danses modernes. L’interprétation de la Revue « Zim la Bum » d’Auguste Donnen, fut un des tout grands moments des années de gloire de l’établissement. Des soirées animées par des compositions de textes et musiques d’Adolphe Amberg complétaient une offre axée sur le rire et l’amusement.
Des nuages apparaissaient
En 1922, une quarantaine de propriétaires d’établissements de danse et de plaisir du Luxembourg s’étaient réunis au « Vieux Luxembourg » pour protester contre les taxes excessives qui frappaient ces établissements et mettaient leur existence en péril. La situation s’empirait, depuis que de nombreuses salles de la capitale s’étaient transformées en dancing. Le swing américain révolutionnait également la jeunesse luxembourgeoise. En janvier 1929, l’établissement ouvrait sous le nom de « Rialto ». Rapidement, il fut apprécié pour la présence hautement féminine. « Im hiesigen Dancing Rialto war, angesichts der strengeren Einhaltung der Schließungsstunde der Wirtschaften die Gewohnheit aufgekommen, nach 12 Uhr den Betrieb in die Kellerräume zu verlegen.“ Constatait le Luxemburger Wort le 13 octobre 1931. La salle avait fait peau neuve avec ses balcons des deux côtés assurant une bonne vue sur la scène au fond et la piste de danse au centre de la salle. Le décor fut d’un Art Déco exquis avec ses formes géométriques des lampes te des garde-corps des balcons. La piste de danse était entièrement recouverte de carreaux lumineux. En 1932 la salle fut convertie en « Théâtre de Vaudeville » : « C’est sous ce titre que s’ouvre ce soir dans le local de l’ancien « Rialto », avenue de la Liberté, un nouveau théâtre à Luxembourg. C’est une troupe belge sous la direction du ténor Galli qui vient nous donner ces représentations. (…) Il nous est d’autant plus agréable d’annoncer cette tentative que, au cours de cette année, le théâtre en langue française a été réduit à la portion congrue. Aussi invitons-nous vivement tous nos lecteurs et amis à soutenir cette tentative et à contribuer à sa réussite » (L’Indépendance Luxembourgeoise 16 avril 1932). »Nous voulons lui faire connaître des chefs-d’oeuvre. Nous voulons lui réserver les meilleures pièces du répertoire, des pièces saines et bien écrites, convenant à tout le monde et même aux enfants. Nous voulons qu’elles constituent un délassement pour l’esprit et un enchantement pour l’oreille».annonçait la direction du théâtre (L’Indépendance luxembourgeoise 18 avril 1932). Or, le projet ne comptait pas le succès escompté, face au cinéma parlant triomphant à l’époque. On revenait à la formule ancienne sous le nom de RIALTO – CABARET. En 1933, l’exploitant Jaas-Housse cessa ses activités et le « Rialto » s’appelait désormais « Casanova-Bar », l‘ancien « Ratskeller » était transformé en bar à vin. Une partie de la salle avait été transformée en « Billard Palace «. La solution ne fut pas excellente comme en janvier 1935 l’exploitant des lieux fit faillite. Adolphe Amberg reprit alors les affaires à l’âge de 71 ans. Il créa le Cristal Palace, un music-hall et dancing qui ouvrait tous les jours à 20.30 heures. Le dimanche la maison proposait deux représentations à 16.30 respectivement à 20.00 heures. Le programme se voulait international en offrant « les meilleures nouveautés italiennes, françaises et espagnoles. » Or, le décès inopiné d’Adolphe Amberg, le 26 décembre 1935, allait tout changer, son épouse, Louis Ditsch (1864-1853) ne voulant pas poursuivre le projet.
Etoile Bleue, puis cabaret
L’entrepreneur Perrin de Hollerich fut chargé d’opérer d’amples transformations au bâtiment pour convertir l’établissement en grand magasin. Tout l’aménagement de l’entrée et l’ancienne salle disparaissaient : le rez-de-chaussée logeait les bureaux administratifs et la surface commerciale, les étages étant récupérés pour le stockage. Les travaux avaient été réalisés au bout de 6 semaines seulement. Les architectes Etienne Galowich et Pierre Schaack, connus pour leur goût du moderne ont signé les transformations de 1936.
Les « grands magasins à l’Etoile Bleue », une société belge, disposant de 4 succursales en Belgique et de 2 au Luxembourg avait concentré ses points de ventes dispersés sur la capitale à la nouvelle adresse à l’Avenue de la Liberté. Leur offre comprit des bicyclettes, des radios et phonographes, de la confection pour hommes, dames et enfants et disposait d’un important rayon de mobilier et de poêles que l’on pouvait acheter sur crédit. Le magasin touchait une clientèle de quelque 10.000 consommateurs à Luxembourg. L’invasion luxembourgeoise par les Nazis le 10 mai 1940 eu des conséquences néfastes sur ce magasin géré par une famille juive. L’Etoile Bleue désormais confisquée par le Chef der Zivilverwaltung prit le nom de « Deutsches Kaufhaus ». Heureusement, l’enseigne pouvait reprendre ses activités sous le même nom au lendemain de la guerre. Ce ne fut qu’en 1950 que cette enseigne fut liquidée. Suite au décès de la veuve Adolphe Amberg, Louise Ditsch en 1953, que l’immeuble passait en héritage. De 1970 à 2014, le rez-de-chaussée et le sous-sol furent occupés par le Cabaret et Café Le Plaza puis le New Plaza. Depuis 2014, le cabaret Joya International Club offre des soirées de pole-dance strip.