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Grand Café à la Place d’Armes

Mémoire d'établissements Horeca

Phénix renaît de ses cendres : le Grand Café à la Place d’Armes

Le « Grand Café » à la place d’Armes va rouvrir sous peu et promet de retrouver tout son charme d’antan. Il s’agit non seulement d’un des plus anciens établissements de la ville, mais également d’un des plus prestigieux.

Un café pour les notables dans la ville forteresse

Jean Winandy, qui avait exploité jusque-là le « Café de Paris », inaugura le « Grand Café », le 16 décembre 1847. Son enseigne était située au Marché –aux-Herbes, en face de l’ancien hôtel du Gouvernement, qui de nos jours sert de palais grand-ducal. La presse rapportait, que le Café « était organisé à l’instar de ce qu’il y a de mieux en ce genre à Paris (…) par l’élégance de l’ameublement, par le confort de la distribution intérieure, par la célérité du service et l’exquise qualité des mets et boissons qui y sont débités ». L’ambition de Winandy était de faire de ce Café « le rendez-vous favori de toutes les classes de la société noble ». A cette époque, Luxembourg fut encore une forteresse et n’était même pas encore reliée au chemin de fer. Le Grand-Duché sous sa forme territoriale actuelle n’existait que depuis 8 ans. Le Souverain fut le Roi-Grand-Duc Guillaume II, qui résidait aux Pays-Bas. L’hôtel de la Chambre des Députés n’existait pas encore.

Toujours du temps de la forteresse, en 1861, le « Grand Café », désormais exploité par J.P. Schneider, ouvrait un pavillon de restauration « à la carte et à toute heure » lors de la « Schueberfouer ». Les « nuits blanches » cessaient à 23.00 heures, moment de la fermeture des portes de la forteresse. En 1864, l’offre fut enrichie de concerts-variétes. Le plus grand cafetier du pays, Adolphe Amberg, venait de reprendre les affaires.

Nouvelle enseigne à la place d’Armes

Peu après l’ouverture de la ville en 1867, le »Grand Café » s’établit à la place d’Armes, qui suite au départ de la garnison s’était transformée en salon de la capitale. En juin 1868, le magazine satirique « d’Wäschfra » confirme que le Grand Café était bien le rendez-vous de « angesoffene Elegants ». L’univers de ce petit et beau monde était constitué de 4 grands miroirs, de plusieurs horloges, de tables avec plaques en marbre. L’argenterie fut opulente, les verres de cristaux servaient à débiter le meilleur des liqueurs germés dans des fûts soigneusement conservés dans les caves de la maison. La qualité de vie consistait à fumer des cigares, dont 5.000 passaient aux enchères en 1877, et de goûter aux vins et aux bières de Munich. La terrasse donnant sur le kiosque à musique était cernée par 9 lauriers roses.

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Comme à Paris, Nice ou Madrid

Entre 1893 et 1895 la ville, enfin débarrassée de son carcan militaire, prend une nouvelle allure avec des bâtiments emblématiques tels que la laiterie centrale, l’Hôtel Clesse, la Fondation J.P. Pescatore, la synagogue. Le Grand Café suivit ce mouvement : « Allen Fremden welche nach Luxemburg kommen, sei der Besuch des neuerbauten « Grand Café » bestens zu empfehlen. Unstreitig das sitlvollste und sehenwerteste Etablissement der Haupstadt». L‘ architecte Charles Mullendorf (1861-1895), était sollicité pour créer cet espace exceptionnel. Il avait déjà fait ses preuves en modernisant l’ancien Hôtel de Cologne et en construisant la villa de l’hôtelier J.P. Brasseur. Il construisait pour la clientèle qui semble avoir fréquenté « Le Grand café » : le ministre d’État, Victor Thorn, Jules Rothemerl, conseiller à la Cour supérieure de justice, les industriels Thierry Ruckert (villa Foch), et Xavier de Saint Hubert. Ses œuvres furent si prestigieuses qu’en 1894, le Cercle artistique avait monté une exposition sur ses plus belles réalisations. Mullendorf meurt à Strasbourg en 1895, alors qu’il venait d’achever le chantier du « Grand Café ».

Pour réaliser le « Grand Café », Mullendorf semble s’être inspiré de l’œuvre magistrale d’Edouard Jean Niermans, qui avait signé les décors de brasseries parisiennes, du Casino de Paris, des Folies Bergères, du Palace Hôtel à Ostende, de l’Hôtel du Palais à Biarritz, du Palace Hôtel à Madrid, de l’Hôtel Negresco à Nice.

Le « Grand Café » présentait de grandes baies de style historisant sur la façade. Elles étaient rehaussées de céramiques aux décors Art Nouveau et portaient le nom du propriétaire « Léon Schmit » L’intérieur présentait une mezzanine, des lambris alternant avec des miroirs. Des panneaux en stuc étaient finement ornés de peintures à brindilles et à oiseaux. Un vitrail coloré montrant une scène bucolique prenait le jour par la façade arrière, le mobilier était richement travaillé et réalisé en matériaux nobles.

Internationale, formée, élégante et puissante

La clientèle visée, dès 1895, était internationale et bien instruite, comme les serveuses devaient savoir s’exprimer également en français et que le choix de journaux proposés à la lecture fut vaste : « (…) Ausser sämtlichen inländischen Zeitungen liegen über 30 der hervorragendsten Tagesblätter und Illustrierte Zeitschriften des Auslandes auf ». La presse nationale révèle que l’établissement fut fréquenté tant par les membres du Gouvernement que par leurs Conseillers.Le magazine « Ons Jongen » avançait même que le Grand-Duc Adolphe aurait fréquenté ce café, « wo die Spiesser Ihre Karten droschen ». Pendant des années, un tronc était installé au « Grand Café » pour collecter des fonds pour secourir les victimes français de la 1ère Guerre Mondiale, ou venir en aide aux familles sinistrées par des catastrophes naturelles. Les Amis des Musées se donnaient rendez-vous au « Grand Café » pour partir en excursion culturelle en autocar. Dans les années 1930, le « Grand Café » offrait son cadre à des ventes publiques d’immeubles prestigieux de la capitale proposées aux enchères par le notaire Jos. Neumann. Encore en 1945, la « Obermoselzeitung » confirme la présence, au « Grand Café » d’une clientèle de notables et de « descendants de vieilles familles bourgeoises ». Ils adoraient le « Münchner Spatenbräu », la bière de Pilsen, les liqueurs et les vins luxembourgeois et étrangers.

Du Grand Café à l’Académie

Suite au décès de Léon Schmit en 1905, l’immeuble passait à la famille Harpes-Schmit, qui, en 1908, allait intégrer le Café du Commerce voisin à sa propriété. Le nouveau tenancier voulait garder la renommée d’établissement de 1er rang. En 1915, le « Grand Café » fut rénové et loué à la « Biergrosshandlung und Eisfabrik, Gebrüder Zander » de Luxembourg. Après le décès de M. Harpes, Jos Rausch reprit les affaires jusqu’à son décès en 1936. Le partage entraînait une vente aux enchères de l’immeuble, la même année. Léa Sprunck-Schmit reprenait les affaires avant que Henri Cornelius n’allait assurer la gestion. En 1957, l’architecte Pierre Gilbert (futur architecte de la Bâloise) fut chargé de rénover les locaux dans un esprit plus moderniste.

D’importants travaux sont entrepris en début des années 1970, lorsque le « Grand Café » devint « Restaurant Aacadémie ». Les céramiques de la façade furent partiellement conservées et déposées au Musée d’Histoire de la Ville. En 1975, Gault et Millau distingua la fine cuisine de « l’Académie » par 12 broches. Jusqu’en septembre 2014, résidents luxembourgeois et touristes adoraient la fabuleuse « fondue bourguignonne » servie par la maison. La politique des tarifs « raisonnables » fut apprécié par les touristes sur tripadvisor et foursquare.

Comme phénix de ses cendres

Le nouveau propriétaire de l’établissement veut bien redonner l’âme à ce bâtiment et recréer une de ces brasseries traditionnelles qui manquent si grandement à la capitale depuis les années 1970. Le Bureau d’Architecture Tetra Kayser Associés en collaboration avec le Musée d’Histoire de la ville de Luxembourg et le service d’architecture de la capitale vont recréer le monde luxueux conçu par Charles Mullendorf, sans toutefois prendre une approche exclusivement muséographique, mais en apportant aux clients de notre époque tous le confort et la sécurité requises (Rolph).

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Historique