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Grand Hôtel Brasseur

Mémoire d'établissements Horeca

Le Grand Hôtel Brasseur – le plus noble de tous les établissements

Lorsque le 11 mai 1867, le Traité de Londres déclarait le Luxembourg comme Etat politiquement neutre, la ville de Luxembourg devait cesser son rôle de forteresse. L’option de convertir la ville en centre de décisions pour renforcer sa vocation de capitale d’un pays indépendant fut retenue pour développer la ville et le pays. Dans cet objectif, les plans d’urbanisation des friches militaires prévoyaient le raccordement de la ville haute aux routes nationales menant aux marchés et centre de décisions étrangers. L’avenue de l’Arsenal (Av. Emile Reuter) fut la première à être ouverte à la circulation en septembre 1869. Le tracé du boulevard Royal n’allait être arrêté en juillet 1871. Une aubette de perception de la taxe d’octroi était installée à l’embranchement de l’avenue de l’Arsenal en prolongement de la Grand’Rue et marquait la frontière entre l’espace ville et cette zone démilitarisée convertie en immense champs de ruines (1867-1883).

L’Hôtel de prestige fait partie des services d’une capitale

C’est ici, qu’ouvrait qu’en 1871, l’Hôtel Brasseur. Son propriétaire, Jean-Pierre Brasseur, connaissait bien les plans du Gouvernement qui visaient à attirer les décideurs économiques dans la capitale. Il fallait leur offrir une maison de standing, moderne et confortable, dépassant toute l’offre existante. L’hôtel nouvellement construit allait faire le coin avec la rue Aldringen aménagée à la même époque et la Grand’Rue prolongée vers le futur boulevard Royal. L’entrée de l’établissement était tournée vers la ville, alors que les écuries donnaient sur la rue Aldringen. Celles-ci seront converties en garages, puis remplacés par des ateliers de cuisines hautement équipés.

Un hôtelier comme promoteur de l’innovation

Il est intéressant de noter que l’hôtelier Jean-Pierre Brasseur était aux origines de de la « Rümelinger Portland-Cementfabrik Brasseur ». Dans le cadre de l’exposition industrielle et artisanale tenue en 1895 à l’école Aldringen, le Grand-Duc Adolphe, avec lequel il entretenait de bonnes relations, se rendait à trois reprises en visite de la fontaine et grotte en ciment „St Michel“ que la société de Rumelange avait érigé pour illustrer un procédé innovateur dans le domaine de la construction. Cette grotte sera offerte à la fin de l’exposition comme cadeau d’Etat au Premier Ministre, Paul Eyschen. Cette sensibilisation aux nouveaux matériaux de construction, explique que le pont Adolphe ait été couvert d’une dalle relevant de ce type procédé.

Lorsque Jean Pierre Brasseur allait s’engager définitivement dans l’industrie, il vendait son Hôtel en 1893, au couple P. Beyens-Wehrli, tous les deux hôteliers à Ostende, respectivement à Anvers.

L’hôtel qui gardait le nom, en raison de sa bonne réputation, était considéré comme maison de tout premier ordre, proposant des chambres très confortables, des salons de lecture, de conversation, ou de jeux de société. Plusieurs chambres étaient équipées de bains et douches privées. L’immeuble comptait également parmi les premiers établissements à être raccordés à l’électricité, au téléphone et au télégraphe. En 1897, l’établissement fut racheté et exploité sous forme de société. La même année, à l’occasion de la fête du Grand-Duc, l’Hôtel illuminait ses façades d’une centaine d’ampoules électriques de trois couleurs différentes- du jamais vu auparavant à Luxembourg ! Beyens-Wehrli offrait à ses clients un guide touristique illustré « La ville et le Grand-Duché de Luxembourg » et leur assurait un service omnibus vers la gare centrale.

Viser le citoyen du monde comme client

L’ouverture du pont Adolphe, en 1903, allait raccorder l’ouest de la ville directement à la gare. L’Hôtel du Commerce (ultérieurement Continental, démoli en 1981) et l’Hôtel Brasseur profitaient de ce « rapprochement » du chemin de fer en construisant à neuf, respectivement en agrandissant leurs maisons. Beyens-Wehrli avait chargé Georges Traus en 1905 d’un agrandissement important. L’architecte du monument « Dicks-Lentz » comptait parmi le plus grands et novateurs du pays. Son cabinet allait être en charge de la construction du pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle de 1935 à Bruxelles. Ensemble avec l’entrepreneur Jean Ledrut, il avait introduit, pour le Grand Hôtel Brasseur, le système de plafonds en béton que les ingénieurs « Boullanger et Schuhl » avaient développé pour l’Hôtel « Le Majestic » à Nice. Le caractère innovateur de la construction, avec son jardin d’hiver couvert d’une verrière impressionnante, fut très remarqué par l’association des ingénieurs. La presse qualifiait l’extension de 1905 comme „Prachtbau“ et précise „Im Erdgeschoß ist ein großer Speisesaal installiert, der einer Großstadt all Ehre macht.
Das ganze Hotel wird zur Zeit gänzlich neu umgestaltet und wird auch der verwöhnteste Großstädter zufrieden stellenwerden“. (Bürger und Beamtenzeitung 13.07.1905). La nouvelle extension occupait l’emplacement des jardins. L’Hôtel proposait désormais 100 lits. Une seconde entrée donnait sur le boulevard Royal auquel revenait désormais une fonction d’axe principal le reliant à la gare centrale. Les liens avec l’industrie restaient intenses, et le Grand Hôtel Brasseur accueillait les Conseils d’Administration de l’ARBED depuis sa création en 1911 jusqu’à l‘inauguration de son palais à l’avenue de la Liberté en 1922.


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Un hôtelier s’insurge contre « l’image étrange » de la destination

Egalement en 1905, Beyens avait adressé une pétition au Gouvernement pour demander la démolition des anciennes casernes d’Artillerie situées à proximité de son établissement. Celles-ci donnaient une « image étrange de la ville » à ses clients. Les autorités donnaient suite à sa demande, et après avoir délogé l’Ecole d’Artisans, les casernes furent démolies en 1913. Seulement 20 ans plus tard, la « place Aldringen » fut occupée par des immeubles de commerce et de rapports.

Le « Café de la Paix » ouvrait en décembre 1914, au coin boulevard Royal / Grand’Rue. Le choix du nom à cette époque est évocateur: à peine 4 mois avant les troupes allemandes étaient entrées sur le sur le territoire du Grand-Duché. Ce Café devint un haut-lieu pour la vente aux enchères de projets immobiliers prestigieux. Il fut intégré à l’Hôtel en 1930.

Têtes couronnées, chefs d’armée et Gauleiter

L’histoire de l’établissement est intimement liée à celle de la vie économique et politique du pays. Dès 1890 les ambassadeurs descendaient à l’hôtel en vue de leur remise des lettres d’accréditation par le Grand-Duc. Le monde de l’aristocratie y faisait escale lors de ses déplacements privés : l’ancien empereur Charles d’Autriche, le Duc de Northumberland, le prince Albert de Belgique, le duc Philippe d’Orléans, le prince de Thun et Taxis. D’autres passaient en visite officielle comme Nicolas de Grèce, l’Impératrice Eugénie, Marguerite d’Italie. Les guerres ont également vu de nombreuses personnalités descendre au Grand Hôtel Brasseur, dont le général Montgomery, le général von Schliefen, le général Parker, le général Pershing, le maréchal Foch, le maréchal Pétain, le général Patton, Alice Roosevelt. L’hôtel a également servi de pied à terre au Gauleiter Gustav Simon. Le grand amiral Alfred von Tirpitz (+ 1930) aurait même incinéré des documents secrets dans le fourneau de la cuisine de l’hôtel.

Des banquets officiels du Gouvernement avaient comme cadre les salons aux relents d’historicisme et Art Nouveau de cet hôtel le plus prestigieux de la capitale. Les sources historiques parlent de réunions préparatoires à la création de la Société des Nations, de concertations avec des délégués de la Chambre des représentants des Etats-Unis, de réunions en vue de la signature de conventions ferroviaires dans l’Europe en reconstruction après la guerre, de préparations de l’Union Benelux, mais aussi de congrès mondiaux dans le tourisme…

Le temps fera dépasser les meilleurs de leur époque

Le „Lëtzebuerg Land“ annonce la fin d’un épisode centenaire : « Ein « top-rank » Hotel von internationalem Ruf, das ganze Zimmerfluten mit allem erdenklichen Komfort, einem eigenen Swimming-Pool und eine gewisse Extravaganz anbietet, bietet Luxemburg überhaupt nicht.
(…) Die andere Alternative wäre der Übergang zu einem modernerem, höherer Form von Fremdenverkehr, konkretisiert durch den Anschluss an eine internationale Hotelkette wie etwa „Holidy Inn““. (LL, 23 mai 1969). Le Grand Hôtel Brasseur allait fermer ses portes le 1 octobre 1969. A son emplacement, la « Kredietbank Luxembourg » allait ériger un bâtiment tour (49 m) signé par l’architecte Laurent Schmit. En 1984 l’Hôtel Le Royal allait ouvrir à une cinquantaine de mètres de l’ancien Grand Hotel Brasseur. Un établissement prestigieux semblait avoir manqué au centre ville. (Rolph)

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Historique