Aller au contenu principal

Grand Hôtel Continental

Mémoire d'établissements Horeca

De Conti an der Groussgaass

Le Grand-Hôtel Continental, disparu en 1981, raconte une histoire hors du commun, intéressante tant sur le plan urbanistique, qu’architectural, social et politique. L’Hôtel a marqué 110 ans de l’histoire locale, mais nationale, voire même internationale.

Des remparts aux affaires

Du temps de la forteresse, avant mai 1867, l’emplacement qu’allait occuper l’Hôtel du Commerce, puis Grand Hôtel Continental au coin nord Grand’Rue, rue Aldringen représentait la dernière parcelle construite de la ville. Y commençait la zone militaire marquée par un hangar, les remparts et les bastions. Le terrain du futur hôtel touchait au nord à l’arsenal de la forteresse et donnait côté sur les casernes d’artilleries, sises entre les rues Beck et Aldringen. Ce cul de sac de la Grand’Rue était appelé à l’époque Juddegaass et ne représentait guère un lieu fréquenté par la population civile.

Les choses allaient bien changer dès septembre 1869 avec  l’ouverture de l’avenue de l’Arsenal (Av. Emile Reuter). Juste en face de l’Hôtel du Commerce, venait d’ouvrir le Grand Hôtel Brasseur, en 1871.

Si cet établissement visait une clientèle aisée, celle de l’Hôtel du Commerce proposait une table d’hôte, accueillait des pensionnaires à des prix modérés et garantissait des services « à prix fixe ». La maison semble avoir été contemporaine du Grand Hôtel Brasseur, car en 1877, elle avait déjà été remise à neuf. Son adresse renseignait alors Avenue de l’Arsenal. Ce tronçon de rue entre le boulevard Royal et la rue Aldringen allait être rebaptisé en 1945 en « Grand-Rue ». En 1877, la situation avait bien changée par rapport aux 10 années précédentes, car l’Hôtel se vantait être situé « au centre des affaires et à proximité des Postes et Télégraphes », ainsi que du bureau de location de diligences, et ultérieurement à proximité d’un arrêt du tramway électrique. En 1878, l’exploitation de l’entreprise passait de  M Backes à M Weber. En 1882, l’établissement fut donné en location. En 1890, la cuisine de Nicolas Reiser-Stoltz attirait avec du gras double, du civet de lièvre, goulasch à la viennoise, des pieds de moutons, des grives.

conti

Profiter du raccordement au quartier de la Gare

L’Hôtel disposait d’une cour à laquelle les clients avaient accès par une porte cochère amenant aux « grandes écuries » pour chevaux et aux remises de voitures. L’immeuble renfermait trois niveaux, dont 7 chambres au 1er étage et des surfaces commerciales au rez-de-chaussée. Le 2e étage était loué séparément et en bloc. Nicolas Reiser-Stoltz avait compris que suite à l’ouverture du pont Adolphe (1900-1903), les quartiers à l’ouest de la capitale allaient gagner en centralité par leur liaison directe à la gare centrale. Ainsi, il chargeait en 1900, Pierre Funck, architecte notable de la ville de Luxembourg (Casino bourgeois, Cercle municipal, siège la Banque Internationale au Bd Royal), de la construction d’un nouvel établissement, très moderne au niveau de son architecture : la façade en brique nue faisait l’éloge à ce mode de construction moderne, des colonnes en fonte étaient visibles sur la façade, des céramiques à la représentation de cygnes, en style Art Nouveau décoraient le pignon dressé vers la rue de l’Arsenal.

En 1904, Nicolas Reiser-Stoltz changeait le nom d’enseigne et appelait sa maison désormais « Grand Hôtel Continental » en référence aux grands hôtels de même nom à Paris, Bruxelles, Lille, Anvers, ou Ostende. La clientèle qu’il visait était désormais de gamme supérieure par rapport à celle de l’Hôtel du Commerce.

Ensemble avec le propriétaire du Grand Hôtel Brasseur il signait en 1906 une pétition au Gouvernement réclamant la démolition des anciennes casernes d’artilleries situées en face. Leur état déplorable donnant « une image étrange de la ville » et le bruit due à leur affectation comme Ecole d’artisans dérangeaient leur clientèle. Les deux hôteliers gagnaient cause, et les casernes furent démolies en 1913, laissant pendant exactement 20 ans un immense terrain vague juste en face de l’Hôtel. Le client profitait dès maintenant d’une vue dégagée sur l’hôtel des Postes ainsi que sur l’ancienne école Aldringen.

Le nouvel hôtel se fit rapidement une excellente réputation grâce à sa  « cuisine bourgeoise de 1er ordre », et sa cave d’exquis Bordeaux. De 1906 à 1931 Elise Erlo de Rollingen (Mersch) était l’âme sœur qui assurait le bon fonctionnement de l’établissement. Le chef de cuisine, Ed Arendt, engagé dès 1935, donna son empreinte au restaurant pendant de longues décennies. Au-delà de dîners d’affaires et d’assemblées générales, Ed Arendt assurait également la réussite de plus en plus de soirées de noces qui n’allaient plus se dérouler à domicile, mais de plus en plus souvent au restaurant. Les réveillons dansants d’avant et d’après-guerre comptaient parmi les manifestations mondaines de la ville.

En 1938, le Grand Hôtel Continental offrait 60 chambres, avec eau courante chaude et froide, des salles de bains privés, un ascenseur, mais pas de garages. En 1947, la maison passa à Emile Lauff et à son épouse Trixy Faber.  Des transformations permettaient de doter l’Hôtel Continental d’un bar américain. Fin 1956, le restaurant allait faire peau neuve à son tour. A nouveau un des architectes les plus modernistes allait être en charge de la conception des lieux. Robert Lentz avait été élève du célèbre architecte américain Frank Lloyd Wright ! «  Wie ein zackenverzierter Baldachin schwebt die Decke über dem Saal: aus dem Spalt zwischen Decken und Wänden quillt unaufhörlich Neonlicht, das den Raum taghell erleuchtet. Mehr fürs Gemüt sind also die mächtigen flämischen Kupferleuchter, die zusammen mit den freundlich gemusterten Tapeten, der kniehohen Holztäfelung, dem hellen Parkett, den roten Läufern und dem reichlichen Blatt- und Blumenschmuck eine ruhige, dabei freundliche Atmosphäre und einen weiträumigen, aber behaglich aufgegliederten Saal schaffen“. (D’Lëtzbuerger Land 14.12.1956.)

Précurseur de l’Office Renting

Un concept particulier d’exploitation est mis en œuvre dès le départ. Au restaurant du « Conti », en 1904, les clients pouvaient s’approvisionner en vins les plus renommés achetés en gros. A partir de 1907, des appartements meublés sont loués pour des périodes plus longues à des pensionnaires, à des représentants d’entreprises étrangères. La surface commerciale au rez-de-chaussée avait été donnée en location à un coiffeur, puis en 1920 à la banque d’Alsace et de Lorraine. Le dernier magasin à occuper le rez-de-chaussée fut dédié à des articles pour enfants. Pendant des décennies, ce fut au « Conti » que des clients pouvaient vendre leurs vieux dentiers à un jour fixe à un représentant d’une entreprise étrangère ayant loué à cette fin un appartement à l’Hôtel. Ce fut également ici, que des sociétés bruxelloises organisaient des entretiens de recrutement de personnel pour leurs besoins en Belgique, que « De gekroonde Valk » (>1949 Heineken) y recrutait des concessionnaires luxembourgeois. Les salons de l’Hôtel servaient en 1954 de  lieux d’exposition aux éditeurs renommés allemands « Schwann » et « Patmos ». Parmi les lancements de produits commerciaux SABENA est à nommer comme première entreprise pour être venu présenter ses nouvelles formules de voyage. L’Hôtel offrait aussi un service d’agence immobilière recherchant des appartements pour leurs clients installés à l’Hôtel dès leur arrivée au Luxembourg.

Les classes moyennes y préparent leur avenir

L’Hôtel Continental fut aussi un lieu privilégié pour la discussion de l’avenir des classes moyennes : Dès 1906 le « Wiirteveräin », l’Union Commerciale de la ville, les revendeurs et manufacturiers de tabacs, les patrons électriciens, les maîtres-serruriers, l’association des menuisiers, le Acker-und Gartenbauverein, la Chambre des Métiers, l’association des agences de voyages tenaient leurs réunions et assemblées à la grande salle de l’Hôtel. Celle-ci prêtait d’ailleurs aussi son cadre aux fêtes patriotiques de l’Union Belge, des Amitiés françaises, des Amis italo-luxembourgeois, des anciens de Dachau, mais aussi à des associations tels que les scouts de la FNEL, les membres de l’Assoss ou de l’Aéroclub. Dès 1911, l’Hôtel Continental accueillait  régulièrement les équipes de football de Grande-Bretagne, de Suisse, des Pays-Bas et d’ailleurs à l’occasion de match internationaux à Luxembourg.

Horreurs de guerre et étapes de reconstruction européenne

L’école Aldringen, située à 150 m de l’Hôtel, en face de l’Hôtel des Postes, eut un sort regrettable au cours de la première guerre Mondiale. En août 1914, l’armée allemande stationnée à Luxembourg, y avait établi son quartier général. La stratégie de la bataille de la Marne y était préparé sous la direction du Général von Moltke. Point étonnant que le 24 août 1914 trois obus furent lancés sur Luxembourg, dont deux touchaient la gare et un troisième perçait l’aile arrière de l’Hôtel Continental. Même si la bombe n’y avait explosée, elle visait les clients de l’Hôtel, dont le colonel Karl von Tessmar. Celui-ci se vantait aussitôt, au restaurant de l’hôtel, de l’exécution commandée de 120 francs-tireurs belges en gare d’Arlon. Le lendemain matin, effectivement, 108 hommes y furent fusillés. (DIDDERICH, Arthur, Au Luxembourg le 25 août 1914, in Tageblatt 25août 1947)

L’Hôtel Continental connut encore  bien d’autres moments hautement politiques : en 1934, il accueillait la « Internationale Frauenbewegung » qui réussit même à inviter une représentante allemande qui pouvait y assister malgré la dissolution du « Staatsbürgerinnenverband » par les Nazis.

Après la guerre, le Prince-Régent Charles préparait à huis clos, à l’Hôtel Continental l’entrevue qu’il allait avoir, le lendemain, en Suisse, avec le Roi des Belges, Léopold III.

Robert Schuman séjournait régulièrement à l’Hôtel Continental, comme en août 1952  lorsqu’il assistait à l'Hôtel de Ville de Luxembourg, à la séance d'inauguration de la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier(CECA).

Le client pourtant, le plus surprenant fut cependant John Marshall-Miller qui y résidait avec un groupe de 14 Américains, début septembre 1961. Ce professeur de la New York Columbia University qui allait publier en 1963 son étude  „Lake Europa – a new capital of a united Europe », militait, en tant qu’Américain en faveur d’une Europe Unie : „Was Europa jetzt braucht, ist ein konkretes Symbol seiner Einheit, einen Brennpunkt des europäischen Geschehnisses, a capital city, a physical symbol to stimulate the politic of this continent. »   Il choisit Schengen pour sa situation de  zone transfrontalière (F, D, L). » Rein städtebaulich wirkt der Miller- Plan unwiderstehlich und bestechend: um den See (la Moselle dut former un barrage en ce lieu) mit seinen breiten Ufer- Promenaden sollen die Kulturbauten entstehen, wie Kirchen, Museen, Theater, Konzerthallen, und Schulen. Die politischen und administrativen Bauten dagegen würden auf die umliegenden Bergeshöhen verteilt, je ein Berg für die drei Staatsgewalten. Dazwischen die friedlichen Residenzviertel als Parks und pedestrian areas. Die Verkehrsverbindungen: Autobahnen, Eisenbahn, Wasserweg, Lufthäfen, seien ohne Schwierigkeiten innerhalb einer angemessenen Zeitspanne zu schaffen, behauptet Marshall Miller“. (R.K., Ein Grundstein für Europa“ in D’Lëtzeburger Land 15septembre 1961). Et vraiment, le 8 septembre 1961, Marshall partait de l’Hôtel Continental avec une équipe de 14 personnes, le 8 septembre 1961 en direction de Schengen, pour y poser les 8 premières pierres au Stroumbierg. Cet événement se passait en pleine guerre froide, à peine 4 semaines de la décision de Walter Ulbricht, de faire construire le mur de Berlin, et tout juste un mois après la création du fonds d’urbanisation et d’aménagement du Plateau de Kirchberg, le futur quartier européen à Luxembourg.

Le Grand Hôtel Continental a cédé sa place à un nouvel immeuble de bureaux, de commerces et de logements conçus par l’architecte Laurent Schmit. (Robert L. Philippart)

grconti

Catégorie
Historique