Hôtel Alfa
L’Hôtel Alfa – Monument national
Déjà depuis le mois de mai 1991, l’Hôtel Alfa sis à la place de la Gare est classé monument national. Cette reconnaissance officielle comme patrimoine interdit aux termes de la loi du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments nationaux, toute destruction ou déplacement, même en partie de l’immeuble, ni n’autorise le changement d'affectation. Il ne peut être l'objet d'un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, que si le Ministre de la Culture y a donné son autorisation. Les travaux autorisés s'exécuteront alors sous la surveillance du Service des Sites et Monuments nationaux.
De style zigg-zagg
Les motifs de ce classement se fondent d’une part sur la valeur exceptionnelle de sa façade de style « zigg zagg » unique au Luxembourg et qui est une forme d’expression de l’Art Déco. D’autre part, les œuvres de l’artiste Julien Lefèvre sont d’une grande valeur, et finalement l’établissement renferme une mémoire historique qui ne peut être cantonnée dans le champ de la nostalgie du passé. Les premiers plans avaient été dessinés par l’architecte Gustave Schopen, qui allait décéder de façon inopinée en mai 1931 à l’âge de 40 ans. Schopen avait entre autres conçu les plans de l’actuelle ambassade de Etats-Unis au Boulevard Emmanuel Servais. Léon Bouvart, qui s’était fait une réputation solide suite à son projet pour la construction de halls pour les foires internationales, la construction du palais du Mobilier (1926), le Victory House et la manufacture de tabacs F & M Cahen (1925) allait reprendre le projet de son confrère pour le mener à terme. L’entrepreneur commanditaire fut Alfred Lefèvre, dont le fils, Julien allait réaliser les peintures représentant les régions touristiques de la Moselle, des Ardennes, du Bon pays et des Terres Rouges et qui ornent en partie la brasserie au rez-de-chaussée. Julien Lefèvre (1907-1984) compte parmi les médailleurs, peintres et sculpteurs les plus renommés du pays. L’Hôtel Alfa fut inauguré par étapes, à commencer par la brasserie en janvier 1932, le salon de coiffure au passage, puis par l’hôtel. Il s’agissait du plus important établissement de la capitale, offrant 200 chambres, dont 100 équipées de salles de bains, d’appartements, de salons et de bureaux, de salles d’expositions, d’un restaurant-bar, d’une brasserie et de 100 emplacements parking dans la cour. L’ameublement fut réalisé dans un modernisme très audacieux aux couleurs claires, aux surfaces planes et sans décors attirant la poussière, à l’entretien facile et au respect de toutes les nouvelles normes d’hygiène connues à l’époque.
L’attrait de ce « géant de l’hôtellerie » fut important, et attisa la concurrence. Ce ne fut qu’en 1933 que les Hôtels Kons, Cravat et Gevelinger (Schintgen) passèrent à des agrandissements, voire de nouvelles constructions et que l’Hôtel Staar voulait se moderniser à son tour.
Etablissement touristique depuis 1862
L’Hôtel Alfa allait être construit à l’emplacement de l’ancien Café-Restaurant-Estaminet „Chalet Dallee » du temps de la forteresse. L’établissement était d’abord établi à la rue du St Esprit et tenu par un Français depuis 1852. En 1862, il avait ouvert son « pavillon » en face de la gare. Le rayon militaire de la forteresse lui interdisait alors toute construction en bois. En 1865, l’établissement servait même de « buffet de la gare ». Des écuries étaient situées à l’arrière du bâtiment, des parterres de fleurs et une fontaine précédaient ce pavillon, qui après plusieurs expropriations allaient se trouver à front de rue. Depuis 1875, le tramway assurait la liaison avec le centre ville, de même qu’un service de diligences. Jusqu’en 1908 les dépôts du tramway et les écuries servant de marché de bétail à l’Hôtel International avoisinaient l’emplacement du futur Hôtel Alfa. Le réaménagement de la place de la gare, suite à la construction du chemin de fer en direction d’Echternach (Charly) et l’aménagement de l’Avenue de la Liberté avaient donné dès 1897 lieu à des discordes importantes en raison de l’expropriation pour aménagement d’infrastructures et au paiement de lourdes sommes en dédommagement aux propriétaires.
L’Hôtel Alfa allait être construit sur les parcelles jadis occupées par le pavillon Dallé, du magasin de tabacs voisin « Giberius » également érigé en colombages. Tous ces bâtiments furent rasés en 1930. A cette époque, ces immeubles se trouvaient déjà à l’abandon depuis un long moment. En 1998 l’extension de l’Hôtel Alfa – déjà après sa classification comme monument national - allait englober à sa gauche le terrain de la « Hëlze Bud », l’ancien « Café de la Gare » construit en bois en 1927et détruit par un incendie en 1957. Pendant 40 ans un interstice vide entre l’Hôtel International et l’Hôtel Alfa rappelait l’existence de ce Café- restaurant géré par les familles Feyder et Moes-Guichard.
Lieu de mémoire
La tradition de concerts-variétés attestée au « Chalet Dallee » depuis 1865 allait se poursuivre à l’Hôtel Alfa, qui connut ses heures de gloire avec de grands ensembles jazz et de variétés s’y produisant à la veille de la seconde guerre Mondiale. L’établissement accueillit fin 1944 les généraux américains George S. Patton, Omar Bradley et Dwight D. Eisenhower le futur Président des Etats Unis, qui y célébraient le 25 décembre le 25 décembre un « Christmas Dinner » plein d’incertitudes sur l’avenir. Après la Guerre, l’Hôtel fut non seulement le rendez-vous mondains de bridges, de foires de philatélistes, d’assemblées générales d’associations culturelles et de loisirs, il prêta aussi ses salons et salles de réunions au jury pour la construction du pont Grande-Duchesse Charlotte.
S’adapter aux nouveaux besoins
Alors que l’Hôtel Aérogolf (Aéroport) et l’Hôtel Holiday Inn (Kirchberg) inauguraient un nouvel type d’hôtellerie. L’hôtel commençait à vieillir. L’immeuble allait également changer de propriétaire. Il est intéressant de noter que la société exploitant l’Hôtel Aérogolf à Senningerberg se montrait intéressée à un second établissement, cette fois-ci situé au cœur de la ville. En 1973, l’Hôtel Alfa fut soumis à une restructuration lourde sous la conduite de l’architecte Pierre Bohler, le futur architecte de l’hémicycle européen à Luxembourg. Les six étages réservés aux chambres furent entièrement rénovés et équipées de sanitaires modernes. Le restaurant fut installé au premier étage. Ses lambris aux bois propageaient un cadre luxueux digne d’une place financière en émergence. Le rez-de-chaussée allait accueillir une salle de réunion et de réceptions, respectivement d’expositions. Le maintien de 70 emplacements de parking fut un service en exclusivité offert en plein centre ville. L’Hôtel se vantait à l’époque et jusqu’à la fin de son exploitation de sa navette en bus jusqu’à l’aéroport. Alphonse Theisen avait dirigé l’établissement avant de le reprendre à son compte jusqu’au changement de propriétaire en 1973.
En 1998, le groupe Accor allait reprendre la gestion de l’établissement, qui fut entièrement rénové et agrandi d’une annexe. La brasserie « Alfa », conçue dans le style parisien ouvrait au rez-de-chaussée, ainsi qu'un piano bar. Tous les mois, des soirées dégustation de fromages et de vins y étaient organisées. 141chambres se répartissent depuis sur 7 étages, 18 étaient communicantes. 3 suites étaient réservées aux hôtes de marque. L’Hôtel occupait quelque 80 personnes début 2017. En mars de cette année, l’exploitation de l’établissement cessait, un nouvel avenir se prépare dès lors. Robert L. Philippart