Hôtel Cécile
Hôtels Cécile et Régina
Les anciens Hôtel Regina et Cécile à la rue Joseph Junck témoignent d’une certaine fièvre des investisseurs dans les années 1930. L’exemple de ces deux hôtels illustre également à quel point, l’hôtellerie pouvait servir de lieu d’accueil pour accueillir et loger, de façon intérimaire une population venue de l’étranger au Luxembourg pour servir dans diverses entreprises. Avec les établissements Cécile et Régina, nous découvrons un type d’hôtel très différent de celui des hôtes de marque du Gouvernement, des maisons travaillant avec des marchands de bétail, des commerçants et des notaires, ou encore des représentants recherchant Luxembourg comme destination d’affaires.
La fièvre de la crise déflationniste de 1929
L’ouverture des Hôtels Régina et Cécile en 1931, rappelle les années turbulentes de l’entre-deux Guerres suite à la crise déflationniste de 1929. L’immobilier prêtait, dans une période économique troublée, un bon refuge pour le patrimoine financier. L’investissement dans la pierre s’avéra comme une solution dans laquelle on pouvait avoir confiance. A ce moment, la ville de Luxembourg, d’ailleurs comme beaucoup d’autres en Europe, était prise d’un rush immobilier, rappelant le dynamisme des années 1870 lorsque la ville s’était transformée en ville ouverte. La fusion de la ville avec ses communes limitrophes, en 1923, avait permis de créer un espace structuré sur base du plan d’aménagement dressé par l’urbaniste de renommée internationale, Joseph Stübben. Celui-ci soumit aux autorités communales en 1922/23 un plan dessinant les contours des voies à tracer comme reflet de son plan de circulation, mais proposant également une architecture largement empreinte de l’idée de la Gartenstadt, donc de la ville moins dense. De nouveaux lotissements apparaissaient ainsi rapidement à Hollerich et à Belair, en partie à Bonnevoie et au Verlorenkost. Cet enthousiasme pour investir ne répondait pas tant au souci de répondre à une demande en logements, mais était plutôt soucieuse de placer son patrimoine ailleurs que dans les banques et pour créer un nouveau marché. La croissance démographique restait cependant plus lente que la production de logements.
Cette même tendance à l’investissement s’observe également dans la construction d’hôtels, dont on constate entre 1930 et 1938 une vague réelle et surprenante, comprenant l’ouverture, dans les alentours de la gare, de l’Hôtel Alfa, de l’Hôtel du Globe, de l’Hôtel de Metz, de l’Hôtel Feipel, de l’Hôtel du Midi, de l’Hôtel du chemin de fer, de l’Hôtel des Mille Colonnes, de la Casa Vinicale Italiana, de l’Hôtel Victoria, de l’Hôtel Cosmopolite, de l’Hôtel des Belges, de l’Hôtel Embassy, de l’Hôtel Atlanta, de l’Hôtel du Nord, qui venaient se joindre aux grands existants tels que l’Hôtel International, l’Hôtel Kons, le Grand Hôtel Staar, l’Hôtel Clesse, l’Hôtel Central-Molitor, l’Hôtel Moderne , l’Hôtel des Voyageurs, l’Hôtel Carlton ou encore l’Hôtel Biver-Kongs à la rue d’Anvers. Le guide des Hôtels publié en 1938 par l’Union des villes et centres touristiques, recensait 973 chambres pour le quartier de la Gare, soit une concentration unique au pays. Aurait-on créé, à défaut de recensements statistiques fiables et scientifiques de nuitées, une surcapacité en offre hôtelière alors que le nombre des débits de boissons alcooliques reste stable au cours de cette période (2650 en 1920 et 2800 en 1938) ? Cette hypothèse peut toutefois être nuancée, si l’on apprend que les entrepreneurs Michel Betz et Alfred Lefèvre investissaient dans d’importants établissements hôteliers pour les utiliser comme lieu d’accueil pour leurs ouvriers qui venaient de rejoindre le Luxembourg comme terre de travail. Ce fut sans doute dans ce sillage, que l’agence d’affaires de Jean Flammang et de Joseph Rodius, dénommée « Comptoir Central pour le commerce et l’industrie» et ayant son siège à la rue de Strasbourg, avait procédé à la construction simultanée de deux hôtels allant porter des prénoms de filles: y aurait-il un rapport avec la rue Cécile (une ancienne section de la rue Adolphe Fischer) signalée au plan de la ville de Luxembourg de 1907 respectivement avec le paquebot « Regina » qui servait de 1918 à 1920 à rapatrier des soldats américains et à transporter des migrant ? Les Hôtels Régina de Madrid, Barcelone, Paris, Biaritz ou encore de Lausanne aurait-ils inspirés les hôteliers dans le choix du nom ?
Un projet confié aux mains d’un architecte expert
La société avait chargé Louis Rossi, architecte originaire de Lugano de la construction de ces deux établissements. On avait déjà évoqué le rôle précieux de cet architecte au niveau de l’Art Déco et notamment pour la construction des Hôtels Graas, Midi, Grand Hôtel du Chemin de fer, Lunkes, Select et de l’Hôtel du Parc à Esch-sur-Alzette. D’ailleurs la magnifique villa du notaire J. Knaff à Wormeldange, qu’avait également dessiné Louis Roussi, allait devenir à son tour un hôtel, l’Hôtel Empire de la famille Mertens.
Les deux Hôtels, situés 32/34, rue Joseph Junck occupent une parcelle commune de 2,96a. L’Hôtel Cécile proposait 30 chambres et Hôtel Régina 25. Des salles de bains communes se trouvaient aux étages, les chambres disposaient des lavabos à eau chaude et froide. Les chambres étaient chauffées au chauffage central. La construction elle-même est en béton avec fils de fer ancrés dans les murs et présente des escaliers en terrazzo, soit un nouveau matériel de construction robuste, facile à entretenir et résistant au feu.
Les hôtels proposaient des garages à proximité et non pas privés. Ils ne disposaient pas d’ascenseurs. Les deux maisons proposaient des jeux de quilles et offraient chacun un café-restaurant, proposant des soirées d’écoutes radio. Chaque maison proposait des menus « à prix fixe », permettant d’échanger la soupe contre le hors d’œuvre. Les vins luxembourgeois au fût furent appréciés, tout comme la bière Mousel dont s’aimait se rafraîchir une clientèle des classes moyennes et ouvrières. Il est étonnant de constater d’une part les efforts du législateur de vouloir diminuer constamment le nombre de débits alcooliques (1 sur 250 habitants en 1927 contre 1 débit pour 70 habitants en 1909) et de laisser librement les établissements promouvoir les produits alcooliques dans la presse. Les Cafés-Restaurants de Régina et de Cécile comptaient parmi ceux « die aber bei ihren Kunden berühmt sind durch einen gediegenen Humpen, einen guten Patt Grachen und ein leckeres Schinkenbrot“ lit-on le 5 août 1933 au Tageblatt. Les sources ne mentionnent ni des manifestations d’associations culturelles ou sportives, ni de ventes aux enchères. Les Hôtels Régina et Cécile demeurent des établissements discrets dans la ville.
A proximité de la gare
L’Hôtel Regina et l’Hôtel Cecile ouvraient en avril 1931 à la rue Joseph Junck . « Diese Hotels, von neuester Konstruktion, sind gelegen in unmittelbarer Nahe des Zentralbahnhofes, in einer der verkehrsreihesten Straßen des Bahnhofsviertels“ nous apprend le Luxemburger Wort le 2 juillet 1935. La rue Joseph Junck, appelée avant le décès du chef de gare (1875-1922), « rue des tramways » se trouve en face de la gare. Jusqu’au déménagement du dépôt du tramway de la ville vers Limpertsberg, en 1908, cette rue fut desservie par les rames et les chevaux du tramway. En 1912, le marché local hebdomadaire de la commune de Hollerich fut établi en cette rue « vis-à-vis du bâtiment de la station ». Mais en 1931, certains terrains demeuraient toujours libres, d’autres étaient voués à une activité industrielle ou matérielle. Certaines rues autour n’étaient pas encore pavées. Les hôtels Régina et Cécile étaient construits dans un environnement semi-industriel.
Les deux hôtels annonçaient la « location de chambres » ce qui fait indiquer qu’ils s’adressaient à une clientèle de techniciens, d’ouvriers et d’artisans en charge de projets à Luxembourg et non pas de touristes de loisirs. La maison Champagne et Hertz avait fourni l’ameublement complet, ce qui indique une standardisation du confort, un ameublement, bon marché, soucieux de l’hygiène, soit aux moins de décors possibles. Les chaises du Café du genre « Thonet » étaient légers et bon marchés grâce à leur fabrication à grande échelle. Elles furent faciles à entretenir. Les deux maisons disposaient du raccordement au téléphone ce qui permettait d’assurer la fonction de « cabine publique ».
Une fois de plus, ces hôtels furent gérés par une femme entreprenante, Mme Jos. JEITZ-FIGL, qui les tenait jusqu’à la mise en vente des immeubles suite à la dissolution, pour faillite, du « Comptoir central « en 1935 et l’adjudication définitive à un repreneur en 1936. La famille Jeitz-Figl allait dès lors s’engager dans la gestion d’une ferme de volailles à Bettembourg.
Déjà en 1933, le « Comptoir central » avait tenté vainement la vente de l’établissement. L’effet de surcapacité hôtelière aurait-elle diminuée le rendement économique de ces deux maisons ? Au cours des années 1940 à 1945 les Hôtels Regina et Cécile figurent sur la le « Merkblatt für die Ordnungspolizei » ce qui laisse présumer à une attitude considérée comme «volksfeindlich » ou de gauche politique par l’administration nazie.
Paul Mertens, secrétaire de Ganymed
Le 18 septembre 1936, Paul Mertens-Steinlein, frère de l’hôtelier Egide Mertens et „ langjähriger Kellner des Restaurants «E.M.S. (Egide Mertens-Schweig», » (Tageblatt, 24 février 1937) reprit la direction de l’Hôtel Régina complètement rénové et doté d’un jeu de quille moderne. Paul Mertens fut pendant plusieurs années secrétaire, respectivement secrétaire général de l’association Ganymed , « Verband der luxemburgischen Kellner und Hotelangestellten ». Il réussit à ce que cette association soit reconnue comme syndicat social et obtint la représentation, par son autre frère Henri Mertens, à la Chambre ouvrière. Paul Mertens fut également un sportif engagé, participant à la course automobiliste « La Ronde de Luxembourg » et devenant second sur la course de parcours « Grundhof » en 1947. Cette même année, la maison de vente d’appareils électriques Ferron organisait dans les salons de l’Hôtel Regina un salon de la radio. Une nouvelle ère avait commencée, la restauration ne représentait plus un revenu suffisamment stable. La place de la gare allait connaître un rajeunissement après la suppression des chemins de fer à voie étroite « Jangeli » (1952) et du Charly » (1952). L’Hôtel Empire, l’Hôtel de l’Europe et les hôtels agrandis « International » et Kons » et le nouvel hôtel Dauphin à l’avenue de la Gare tissaient un environnement concurrentiel nouveau.
Régina, Cecile, Astrid et Axe
L‘Hôtel Régina (34 rue Joseph Junck) changeait de nom après 1976 pour s’appeler jusqu’à l’aube des années 1990 Hôtel Axe. Autour des années 1975, la maison fut exploitée par Maisy Schmit qui gérait l’Hôtel d’un gant de velours dans un bras de fer. Depuis 1973, l’Hôtel Cécile (N°32) ne figure plus au Guide des hôtels et restaurants édité par l’Office National du Tourisme, mais était inscrit à l’annuaire téléphonique au nom de Hôtel Astrid. L’établissement ne recherchait plus sa clientèle sur les marchés internationaux, mais bien domestique. La gestion fut alors assurée par Théo Decker. Le Guide des Hôtels de l’ONT signale dès 1897 l’Hôtel Axe au N°34 rue Joseph Junck. Les hôtesses d’accueil affirmaient à l’époque que surtout les clients de passage sélectionnaient rapidement leur hôtel parmi les toutes premières lettres de l’alphabet. Aujourd’hui L’Hôtel JJ 32 est logé à l’enseigne de l’ancien Hôtel Cécile et le Bar 2000 occupe l’ancien Café de l’Hôtel Regina. (Robert L. Philippart)