Hôtel Eldorado
Hôtel Eldorado – Cinéma Europe
Robert L. Philippart
L’ancien Hôtel Eldorado au N°7, place de la Gare, voisin du bâtiment de la direction des Chemins de fer luxembourgeois n’a connu qu’une courte période d’existence entre 1966 et 1988.
Pourtant, son établissement témoigne d’un élan positif de développement du quartier de la gare et de sa transformation en carte de visite de la capitale des Communautés Européennes du Charbon et de l’Acier (CECA).
La place de la Gare
La place de la Gare, appelée « Cour de la gare centrale » avait été aménagée dès la mise en service des chemins de fer en 1859. A cette époque, la ville était toujours une forteresse et des constructions fixes en pierre n’étaient point tolérées dans le rayon militaire dont cet espace faisait partie. Des réaménagements de la « Cour » sont entrepris en 1875 avec l’arrivée du tramway, l’inauguration de la ligne de chemin de fer Jangeli (Luxembourg- Remich) en 1882, en 1904 avec le passage du Charly (chemin de fer vicinal reliant Luxembourg à Echternach) à travers l’avenue de la Liberté nouvellement aménagée. En 1923 la place connut un nouveau « look » avec la mise en place du rond-point dit « Raquette » favorisant le passage du tramway. Cet aménagement allait exister jusqu’à la suppression des tramways sur ce site en 1961. En 1937, les jardinets précédant les immeubles de l’avenue de la gare sont supprimés : l’Hôtel Clesse perdait alors sa terrasse, l’Hôtel Staar sa véranda. Depuis 1932, l’Hôtel Alfa cadre la place dans sa partie ouest. Il fallut attendre 1949 pour voir ouvrir le cinéma Eldorado sur le front nord de la place. Jusqu’ici un square bordé par l’ancien Hôtel Clesse du côté de l’avenue et des dépôts de chemins de fer en direction de la gare constituaient le front nord de la place. Suite à l’occupation de l’ancien bâtiment de direction des chemins de fer Guillaume-Luxembourg situé à la place de Metz, par la haute Autorité de la CECA, un concours entre architectes avait été lancé pour construire l’hôtel de la direction des chemins de fer luxembourgeois à la place de la Gare sur le site jusque-là occupé par les dépôts de locomotives. Ce bâtiment fut réalisé en 1958/59. Un interstice demeurait toujours libre entre celui-ci et le cinéma Eldorado.
Hôtel-Cinéma – une première
Ce sera ici que sera érigé un projet d’un genre nouveau et pour lequel l’architecte Paul Retter avait fourni l’exemple en 1956 à Bettembourg: construire un cinéma avec des surfaces commerciales et des logements. Dans ce même esprit, les architectes Arthur Thill et Armand Theisen, réalisent, en 1963, entre la place de la Gare et la rue du fort Neipperg le futur cinéma Europe ainsi que l’Hôtel Eldorado. L’immeuble à 7 étages orienté vers la place de la Gare épousait la même hauteur, le même type d’étage en retrait et la même toiture plate que l’immeuble CFL. Ils créaient ainsi un front de place cohérent. Un deuxième bloc de chambres d’hôtels avait été construit sur la partie du terrain longeant la rue Neipperg. L’ouverture d’un Hôtel- Cinéma à Luxembourg était une grande nouveauté. François Reciknger, fils de Georges Reckinger qui était à l’origine des cinémas Capitole (Avenue de la Gare) et Eldorado (Place de la Gare), avait eu le courage à une époque où la fréquentation de cinémas était en baisse, de prendre l’initiative d’ouvrir en décembre 1963 une nouvelle salle climatisée avec 442 places. La salle présentait l’écran le plus grand de la capitale. Il permettait la projection de films de 77mm au lieu des projections conventionnelles de films à 35mm. Comme nouveauté, il fallait aussi signaler que ce cinéma disposait de son propre lounge-bar. La salle ne présentait pas de balcon, mais était aménagée en coque permettant ä tout spectateur la pleine vue sur l’écran. La programmation des films correspondait rapidement à celle d’un public très vaste fréquentant les quartiers de gare : films d’aventure, films érotiques, films d’actions, reprises des grands classiques. Mais le cinéma au fond d’une galerie, ne connut pas le succès des autres salles de la capitale. En 1980 François Reckinger investit dans une modernisation du cinéma et fusionne avec le cinéma Eldorado voisin pour former le « Ciné-Center Gare CCG ». Celui-ci présentait les nouveaux films au même moment que les autres capitales européennes. En 1983, une des salles de réunions de l’Hôtel Eldorado est transformée en salle de spectacles avec 85 places. Le CCG offrait désormais 4 salles pour accueillir quelque 120.000 spectateurs par an. En 1988, la vente des immeubles « Eldorado » et « Cinéma Europa » mit un terme à cette entreprise. Le complexe allait céder la place à des surfaces bureaux et de commerce.
Arthur Thill, un architecte d’exception
Arthur Thill (1909-1988) comptait au moment du projet parmi les architectes modernistes au Luxembourg. Déjà en 1935 et 1937, et à peine âgé de 30 ans, il avait remporté le 2e prix du concours pour le pavillon luxembourgeois à l’Exposition universelle de Bruxelles, respectivement à Paris ( en association avec Pierre Schaack et Etienne Galowich). Thill avait également travaillé pour le pavillon luxembourgeois à l’Exposition internationale de la technique de l’eau à Liège en 1939. L’architecte était encore directement associé au projet de réalisation de l’Agrocentre à Mersch (1959). Il avait agrandi à plusieurs reprises la laiterie centrale au boulevard d’Avranches et était associé au projet de construction de la laiterie Luxlait à Merl. Il avait conçu les plans de la manufacture de produits chimiques et d’articles de parfumerie « Geisha » à la rue du Laboratoire. Avec Jacques Haal il avait réalisé les Caves du Sud à Remerschen. Il était chargé du projet de construction des Foires Internationales au Kirchberg. Thill avait rénové le cinéma Marivaux en 1939, construit le cinéma Eldorado (1949) et le cinéma Europe (1963 (en collaboration)). En 1954, il avait construit le magasin de vêtements « Bastian » à la Grand’Rue. En 1947 il avait aménagé le club Saint James à l’Hôtel Moderne (Place de Paris). Il avait réalisé les intérieurs de l’Hôtel Cravat ainsi que la nouvelle aile datant de 1953. Arthur Thill qui était également actif comme artiste, était membre du Cercle artistique du Luxembourg et proche de CAVO créé par la Société des Beaux-Arts de Luxembourg.
Hôtel Eldorado
L’Hôtel Eldorado allait ouvrir en 1966 et proposer quelque 42 chambres à sa clientèle. Situé en face de la gare, l’établissement s’adressait essentiellement à une clientèle voyageant en train et recherchant la capitale pour un court séjour d’affaires. Dans ce but l’établissement proposait également des salles de réunion. Arthur Thill avait précédé le bloc de chambres orienté vers la place de la Gare, d’une façade-rideau en acier et en verre. Elle présentait des panneaux avec des ornements abstraits aux formes rappelant des hallucinations. Ces panneaux allaient être remplacés en 1979 par des panneaux, sans ornements, de couleur turquoise. D’après le guide officiel des hôtels, auberges et pensions édité par l’Office National du Tourisme pour 1967, toutes les chambres étaient équipées de bains ou de douches. N’offrant pas de restaurant, l’Hôtel ne servait au moment de son ouverture ni de petits-déjeuners, ni des repas, car plusieurs restaurants se trouvaient à proximité de l’établissement. En 1972, l’Hôtel se situe dans la gamme supérieure des prix demandés pour la nuitée. Désormais, la prise de petits-déjeuners est assurée. En 1974, le nombre des chambres avait passé à 48. La restauration faisait désormais partie de l’offre et l’établissement proposait des séjours en demi-pension, respectivement en pension complète. En 1979, lors des travaux de transformation du cinéma, le guide des hôtels officiel renseigne seulement 37 chambres alors que le restaurant sert 50 couverts. En 1981, après les travaux de la modernisation de la salle de cinéma, l’Hôtel proposait à nouveau 48 chambres et le restaurant pouvait servir autant de couverts. Le prix du petit-déjeuner faisait désormais partie du prix de la chambre. L’établissement cessa ses activités avec la vente de l’immeuble en 1988.