Hôtel Moderne
Hôtel Moderne
L’Hôtel Moderne formait le coin entre la place de Paris et la rue du Fort Elisabeth (N°27). Le terrain faisait partie de la commune de Luxembourg et appartenait aux domaines de l’Etat. Il était issu des anciens domaines militaires de l’ancienne forteresse de Luxembourg.
Le plus beau flanc de la ville
Situé à l’entrée sur le territoire de la ville de Luxembourg, l’Hôtel à construire devait souligner la centralité du lieu grâce à une architecture « un peu monumentale » comme aimait s’exprimer le Ministre d’Etat, Paul Eyschen. Le caractère représentatif de ces immeubles à élever à gauche et à droite de l’avenue de la Liberté, permettait de se démarquer par le volume, la régularité des façades, le respect des proportions, le choix de la pierre de taille pour les façades, des constructions du « faubourg » que représentait jusque-là le quartier de la Gare faisant partie de la commune de Hollerich. Pour réussir ce défi et contrebalancer les vides créés par l’avenue, la place de Paris et la rue du fort Elisabeth, ce nouveau front de rue devait avoir « l’effet d’une seule construction ».
L’Hôtel de Paris construit en 1909 d’après les plans dessinés par les architectes Joseph Nouveau et Léon Muller définissait le style des immeubles à ériger. En 1912, l’hôtelier Jean-Baptiste Schockert, alors âgé de 35 ans, avait acquis le terrain de près de 2 a pour le prix de 15.221 frs. Les plans inspirés par Albert Brick, diplômé (1900) de l’Ecole d’Artisans de Luxembourg avait conçu les 3 façades de l’Hôtel Moderne. L’Administration des Travaux Publics allait exiger un certain nombre d’adaptations de plans, de façon que l’immeuble puisse bien faire pendant à l’Hôtel de Paris. La maison mitoyenne entre les deux hôtels n’allait être construite qu’en 1915 (Jean-Pierre Koenig, architecte). Cette harmonie et régularité prescrite pour mettre en scène l’entrée sur le territoire de la ville fut définitivement dérangée par la démolition, en 1965, de l’ancien Hôtel Moderne. Comme les Hôtels Staar, Brasseur, Clesse, Central Molitor et Nouveau Paris, l’Hôtel Moderne, contribuait à l’image de marque et de qualité de la capitale.
Départ difficile dans un contexte de guerre
Alors que l’Hôtel de Paris avait ouvert en 1912, l’ouverture de l’Hôtel Moderne tombait à 5 mois du commencement de la première guerre Mondiale, en 1914. Sa proximité de l’Hôtel de Paris et de l’Hôtel Central Molitor (1913) lui réservait une gestion plus difficile. L’Hôtel raccordé au téléphone était équipé d’électricité, offrait un chauffage central, des toilettes à l’étage, et plusieurs chambres équipées de bains. Les 27 chambres réparties sur 4 niveaux donnaient sur la place, respectivement la rue du fort Elisabeth. Le rez-de-chaussée était réservé à un Café-restaurant / « Weinstube » vantant son buffet froid, ses boissons de qualité. Avec ses prix modérés « zivile Preise », J. B. Schockert et son épouse Susanne Blissé visaient une clientèle de classes moyennes.
Les débuts s’avéraient difficiles: en mai 1915 la famille Schockert offrait déjà la concession du restaurant en location. Une partie de l’équipement du bureau de l’hôtel fut mis en vente publique. En juillet, Mme Schockert allait être arrêtée pour suspicion de soutien au proxénétisme. En 1916, J.B. Schockert se faisait remarquer dans la presse avec une annonce promouvant la vente « d’une façade de 14 m de longueur en pierre de granit ». En mai 1916, les époux Schockert étaient condamnés à trois mois de prison „wegen Haltens einer Unzuchtstätte und wegen Verleitung zur Unsittlichkeit“. Toujours au cours de la première guerre Mondiale, l’hôtel devint un lieu de recrutement d’artisans allant servir dans l’économie allemande. En août 1916, Mme Schockert-Blissé allait être grièvement blessée par un visiteur de nuit. Le fils Raphaël allait finalement reprendre les affaires. Pendant la guerre, il cherchait à s’assurer quelques revenus complémentaires par la vente en gros de carbure de tungstène. La série noire allait continuer en 1917, lorsque deux criminels s’étaient cachés dans l’établissement et en 1918 une domestique fut blessée par un coup de révolver tiré par le garçon de salle. Après tant d’épreuves, la famille Schockert-Blissé se retirait des affaires. J.B. Schockert décédait en 1922 à l’âge de 45 ans. L’Hôtel est vendu en 1919 pour 300.000 frs à François Scholtus, cafetier à la rue de la Poste.
Deux femmes prendront le projet en mains
En octobre 1919, la propriété passait pour 400.000 frs aux consoeurs Marguerite & Claire Weber, tenancières du Café « Bodega » à la rue du Fort Elisabeth. Les affaires semblaient revenir au calme et l’établissement recrutait une domestique en 1920. En 1923, Pierre Konz et son épouse Marguerite Weber et sa sœur Claire Weber annonçaient la vente publique de l’établissement avec désormais 24 chambres pour clients, mais n’allaient pas passer l’objet en adjudication, malgré une offre de 550.000frs pour la propriété et son inventaire. Claire Weber, racheta en 1925 sa part à sa sœur et à son beau-frère pour en devenir le propriétaire exclusif. Claire y exploitait également un magasin de tabacs. En 1926 elle prit l’initiative insolite et unique, d’organiser en ses locaux un concert symphonique à 22.00 heures du soir. Elle s’était sans doute inspirée des animations musicales que Charles Barnich organisait à l’époque au Paris-Palace voisin. En 1936, l’immeuble fut remis en vente publique, sans adjudication. En février 1937, l’Hôtel passait par voie de vente à la famille de Paul Thein-Weber. Paul Thein, fondateur du Aéro-Club de Luxembourg, avait épousé Léonie Weber en 1932. Le 27 février 1937 Léonie Thein-Weber fêtait la réouverture de l’établissement qu’elle reprenait de sa famille. Du nouveau personnel était recruté.
Whisky bar- St James Club
En septembre 1947, Paul Thein allait réaménager le rez-de-chaussée Club St James“. L’architecte Arthur Thill, dont on se rappelle la construction du cinéma Eldorado et l’agrandissement de l’Hôtel Cravat » avait dressé les plans d’aménagement. L’entrée était désormais orientée vers la place de Paris, contrairement à son orientation initiale vers la rue du Fort Elisabeth. L’Hôtel gardait sa réception propre. Le Club offrait une piste de danse et un bar plongés dans la lumière chambrée du néon. « Die zuerst cremefarbene, dann alabasterweiße Grundtönung mit leisen diskreten Goldbordüren wird glücklich hervorgehoben durch die dunkle warme Tönung der Vorhänge und die deftige Farbe der geschmackvoll geschnitzten u. so beachtenswert komfortablen Clubstühle. Die Stühle und Sessel umziehen im Halbkreis die diskrete getäfelte Tanzpiste; in einer hellblühenden Nische steht der dunkle Flügel (…); ganz im Hintergrund die Bar mit ihrer Flaschenbatterie und den Barstühlen: das Reich des sympathischen Barmans u. Mixers Monsieur Marcel“. (Tageblatt, 2. September, 1947).
Après le décès de Paul Thein, l’établissement fut vendu. L’immeuble si caractéristique fut démoli en 1965 pour être remplacé par un « building » à 7 étages. Le 4 avril 1966, la Banque Internationale à Luxembourg y inaugurait une nouvelle agence. L’Avenue de la Liberté et de la Place de Paris n’allaient être inscrits dans la zone tampon du patrimoine mondial de l’Unesco qu’en 1994.( Robert L. Philippart)