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Hôtel Molitor

Mémoire d'établissements Horeca

Hôtel Central Molitor –  partie I

Robert L. Philippart 

L’Hôtel Central Molitor a fermé ses portes le 31 décembre 2020 après 107 ans d’exploitation familiale. Son histoire est marquée par la stabilité de l’exploitation, sa présence discrète, mais importante dans la société locale. L’ouverture du chantier du tam à l’Avenue de la Liberté en 2018 et la fermeture du parking Rousegärtchen en septembre 2019, rendaient les conditions d’exploitation plus difficiles. De nouveaux projets, planifiés depuis 2017 déjà, laissent pourtant présager un nouvel élan sous le même nom d’exploitation avec une capacité supérieure des chambres. 

Le courage d’investir très tôt 

L’histoire de l’Hôtel Molitor remonte au 8 février 1913, lorsque Adam Molitor acquit la parcelle, sise N°28 Avenue de la Liberté à Luxembourg. La construction le long de cette avenue avait débutée en 1904 dans la section comprise entre la gare et la Place de Paris. En 1912, l’Hôtel de Paris avait été inauguré. La même année, les plans pour la construction de l’Hôtel Moderne pratiquement voisin, avaient été autorisés. A la même époque, les sièges de la Caisse d’Epargne de l’Etat et de la société de chemin de fer Guillaume Luxembourg étaient mis en chantier, mais le plateau demeurait encore largement inoccupé. Les discussions sur la construction d’un palais de justice au futur emplacement de l’ARBED (19, Avenue de la Liberté) étaient en plein cours. Depuis 1904, respectivement 1908 le chemin de fer « Luxembourg-Echternach » (Charly) et le tramway électrique circulaient dans l’avenue. 

Molitor

Maîtres d’ouvrages, architectes et entrepreneurs 

Adam Molitor (1866-1942) avait commencé sa carrière en 1884 comme instituteur à Steinbrücken avant d’occuper ce poste à la Ville de Luxembourg.  Lui et son épouse Catherine Zeimes (1864-1931) avaient chargé le jeune architecte Jean Warken (1885-1927) de l’élaboration des plans pour la construction d’un « Hôtel Restaurant » sur son terrain de 3 ares. 

Issu de l’Université Catholique de Louvain, Warken allait être réputé pour la construction des caves Bernard Massard, de la clinique Sainte-Thérèse, par sa participation à la construction du stade municipal et du kiosque à musique à la place du Parc à Bonnevoie. Homme engagé, il faisait partie du conseil communal de Hollerich, puis de celui de Luxembourg. Les premiers plans soumis en avril 1913 pour la construction de l’Hôtel Molitor furent rejetés, parce que l’Etat exigeait un traitement plus ambitieux de la situation de carrefour que formait l’hôtel avec la rue Dicks et moins d’exubérance dans les décors. La version finale des plans datant de septembre 1913, présente une façade en pierre de taille dont la situation de coin est mise en évidence par une coupole élancée coiffée d’un couronnement à deux niveaux. Elle forme un axe visuel important adapté à l’ensemble du carrefour. Il est à regretter que lors de travaux de modernisation, la coupole fut tronquée de son couronnement et les mansardes privées de leurs tympans. Espérons que la situation initiale soit reconstituée et que l’établissement retrouve ainsi sa splendeur d’origine.  Le chantier lors de la construction avait été conduit par l’entrepreneur Cesare Clivio, dont sa demeure, la villa « Clivio » à la rue Goethe, est inscrite à la liste du patrimoine national. L’hôtel ne disposait pas de garages, mais signalait la proximité d’emplacements de parkings en plein air, puis couverts (Parking Rousegärtchen).

La défaillance de l’urbanisme historisant 

L’architecture monumentale de l’Hôtel s’inspire de celle d’avenues parisiennes. Elle se veut remarquable, car l’architecture est un support publicitaire tant pour l’hôtellerie que le commerce. Lors des travaux de construction, le plan connut une adaptation ponctuelle par l’aménagement de l’entrée du côté de l’avenue au lieu de l’emplacement initial prévue au carrefour. Ce déplacement de l’entrée vers les flux, que suscite l’avenue, souligne l’imperfection de l’urbanisme historisant qui « sculpte un espace », le traite en coulisse pour le plus bel effet, sans étudier en profondeur la fonctionnalité et le fonctionnement de l’espace public. La rue Dicks forme un cul de sac avec la rue Sainte-Zithe, elle ne génère pas de passage et n’attire guère des clients.  Les décors de la façade sont historisants et le millésime « 1913 » est sculpté dans une cartouche. Les grilles des balcons renvoient à la production du fer forgé industriel. L’établissement repose sur une ossature en béton armé. La façade, comme choix esthétique, n’est qu’appliquée contre cette construction élevée en matériaux modernes. 

La cage d’escalier occupait le centre de l’immeuble. Le restaurant était logé côté avenue et communiquait avec une salle de réunions et de fêtes aménagée du côté de la rue Dicks. L’immeuble présentait une étroite cour intérieure dans laquelle était installés les sanitaires. Cette architecture des îlots haussmanniens se soucie davantage des façades, que de la qualité de vie que pourraient offrir les espaces intérieurs non couverts. Les façades vers les cours sont irrégulières et ne tiennent guère compte de l’insolation. La cuisine se trouvait au rez-de-chaussée, côté pignon. Une cabine téléphonique est renseignée sur les plans de 1913. Le premier et le troisième étage réservaient des logements à la famille Molitor, le deuxième niveau étant exclusivement destinés aux clients de l’établissement. Au décès de Catherine Molitor-Zeimes (1931) et de son fils Charles (1935), la famille quittait les lieux pour réserver tout l’immeuble à l’exploitation hôtelière.  

Molitor

Hôtel Central Molitor 

Chaque étage présentait désormais 11 chambres avec eau courante chaude et froide, chauffage central oblige. Le guide national des hôtels de 1938 renseignait ainsi une capacité de 45 chambres desservies par un ascenseur. Des WC en commun et une salle de bain avec baignoire se trouvaient à l’étage. A partir de 1960, le téléphone privé dans les chambres contribuait au confort moderne. D’importants travaux de modernisation furent entrepris en 1965/66 sous la direction de l’architecte Léonard Knaff (1927-2013). 7 chambres furent supprimées au profit de salles de bains privées. Le guide des hôtels de 1967 ne renseignait ainsi que 36 chambres contre 43 encore en 1963. Les modernisations des chambres et plus particulièrement leur insonorisation entraîna le remplacement des fenêtres, dont les châssis aux croisillons et à deux battants disparaissaient au détriment du cachet de la façade. A partir de 1979, les chambres sont équipées de postes de télévision et de radios, de safes privés. En 2020, les chambres proposaient outre l’équipement signalé, un sèche-cheveux, un minibar, une machine à café ainsi que le raccordement Wlan.  

Restaurant au desgin de Leslie Corke 

Déjà pendant l’entre-deux-guerres, la terrasse du restaurant, couverte par un immense auvent, donnait sur le spectacle de l’avenue. Le restaurant servait à l’époque jusqu’à 130 couverts. La cuisine fut gravement endommagée par des soldats américains en automne 1944, de façon à ce que le restaurant ne pouvait rouvrir que pour le 1er décembre de cette année. Lors des transformations lourdes de 1965/66, le restaurant connut des adaptions, mais la plus importante fut réalisée en 1973/74 à l’occasion du 60e anniversaire de l’établissement. L’architecte d’intérieur anglais vivant au Luxembourg, Leslie Thomas Corke (1924-2015) était chargé de réaménager le restaurant dans un style très contemporain, présentant «Nach Leslie Corkes Design extra gewebten schwarz-orange karierten Boden-und Wandteppichen »  qui favorisaient l’insonorisation et assuraient un éclairage intimiste.  Corke avait également conçu  „(die) Glockenform der duftigen Abat-jour Parade die Sportlights über das Gedeck verbreiten. Hinzu kommen Wandstrahler für Teppiche und Vorhänge, das ganze vornehmlich in warmen Orange gehalten. Die bis zur Kopfhöhe sich verjüngenden Rücklehnen der drehbaren Bestuhlung sichern dem Gast Bequemlichkeit und zugleich Abstand vom nächsten Tischnachbarn“ (Luxemburger Wort 18. Januar 1975). Le nombre de couverts avait été ramené à 105, car l’hôtel n’offrait plus la pension à ses clients. Les dernières transformations au restaurant entreprises vers 1990 ramenaient le nombre de couverts à 80 (Guide des hôtels, 1991). Le restaurant, avec son menu du jour tant apprécié par les employés et résidents du quartier, ferma en 2012. Les projets d’avenir laissent deviner une reprise de ces activités sous forme de brasserie. 


Hôtel Central Molitor –  partie II

Une entreprise familiale 

L’Hôtel fondé par Adam Molitor avait été exploité par son fils Charles (1893-1935) et sa fille Irma (1889-1973). Charles avait appris le métier de chef restaurateur et de confiseur au Grand Hôtel Brasseur à Luxembourg et avait suivi avec sa sœur des stages prolongés dans les meilleurs hôtels d’Angleterre et d’Ecosse, notamment à la station thermale de Buxton. Charles, qui s’occupait du restaurant, avait été élu trésorier du « Wirteverband » et fut membre de la Ganymed - „Berufsverband der Kellner und Angestellten des Verpflegungsgewerbes“. Le 20 juin 1924 était constituée la Société Anonyme « Grand hôtel Central », modifiée à plusieurs reprises par la suite, avant de devenir Hôtel Central Molitor & Cie S.e.c.s.l., société dissoute en 2019. La constitution de la « société civile immobilière Hôtel Central Molitor » en 2017 annonce un nouveau départ.  

Irma Molitor gérait seule l’établissement depuis le décès de son frère Charles. Elle dirigeait l’entreprise pendant des décennies y compris les années difficiles de la deuxième guerre Mondiale. En février 1959, les 70 ans de Madame Molitor furent célébrés par le conseil d’administration de l’hôtel en présence du personnel de l’hôtel et de la presse. Un repas gastronomique avait été spécialement composé pour cette occasion par le chef du restaurant, Charles Kremer. Irma Molitor relaissait la direction de l’établissement à son neveu Erny Thill, diplômé de la Hotelfachschule Luzern et de l’école hôtelière de Lausanne. Par la suite nous trouvons à la tête de la gestion de l’Hôtel Central Molitor Jean-Jacques Knaff, qui en 1997 allait prendre la direction de la S.A. « Luxembourg Congrès » nouvellement fondée. Depuis cette date et jusqu’en 2020, Colin Shepherd formé à l’Institut de hautes études de Glion, la première école privée en Suisse à offrir des programmes de gestion hôtelière à un niveau universitaire, assurait la direction de l’établissement. 

Weydert

A la recherche d’une clientèle adéquate 

Tant que le palais de l’ARBED n’est pas construit, l’Hôtel Central Molitor se trouva quelque peu situé à l’écart. A partir de 1920 seulement, cette société sidérurgique fut présente au plateau Bourbon. En 1922, celle-ci inaugurait ses locaux au N°19, Avenue de la Liberté. La proximité de l’hôtel de ce siège d’entreprise garantissait, à partir de cette date, un certain nombre de réservations de nuitées pour ses clients.  L’hôtel d’affaires était ouvert toute l’année et proposait une réception de jour et de nuit.  

Dans les années 1930, les touristes, surtout anglais, voyageant en autocar auraient hautement apprécié l’établissement et sa terrasse. Les clients se recrutaient entre touristes de loisirs et hommes d’affaires. Comme pour bien d’autres hôtels du quartier de la gare et de la Ville haute, des « Head hunters » louaient dès 1930, des chambres pour recruter du personnel pour leurs entreprises sises à l’étranger ou à la campagne luxembourgeoise.  Des représentants de commerce, logés à l’hôtel, proposaient à la clientèle locale leurs articles de vente ou appelaient la population à leur vendre les objets qu’ils recherchaient. Parmi les hôtes remarquables de l’établissement, notons en 1930, le séjour du vice-consul luxembourgeois à Chicago, J.B. Merkels. En 1942, l’hôtel accueillit les membres du Comité des footballeurs du « Sportgau Moselland » siégeant à Luxembourg lors des « Fussball-Fachtage ».  En 1946, le cycliste Henri Aubry (1922-2012), alors champion du monde sur route mateur séjournait au Central Molitor. En 1950, une délégation féminine de la Columbia University de New York y était logée. Elles eurent des entrevues avec Perle Mesta, la première ambassadrice des Etats-Unis au Luxembourg (1949-1953). Enfin, notons encore le passage de Walentina Wladimirowna Tereschkowaes, la première femme à effectuer un vol dans l'espace (1963).  

La coopération avec les agences de voyages fut intense. Aux courriers et téléphone se rajoutaient le télégramme et à partir de 1974 le télex, puis le fax, l’internet et le courriél. La participation de la direction de l’hôtel aux salons professionnels organisés par l’Office National du Tourisme et la présence de l’établissement dans chaque édition du manuel de vente pour tour-opérateurs « Sales Guide » fut régulière. En 2011, le Ministère du Tourisme avait décerné au management de l’hôtel le label de « Service Qualtitéit Lëtzebuerg ».  La maison avait participé en 1989/90 à la classification Benelux des Hôtels, puis à partir de 2011 à la celle d’HOTREC adoptant ainsi les critères définis par cette organisation regroupant toutes les associations d'hôtels, restaurants et cafés en Europe. Pour profiter des grandes plateformes internationales de réservations, l’Hôtel Central Molitor s’était rattaché à la chaîne hôtelière « Golden Tulip ». L’établissement s’est recherché par ailleurs une clientèle d’affaires sensible à l’environnement et à l’écologie. En 2009, l’Hôtel « Golden Tulip Central Molitor » s’est vu décerner l’Ecolabel luxembourgeois. L’établissement offrait par ailleurs des produits « fair trade » à ses clients. 

Rendez-vous local et national 

La salle de réunion qui jouxtait le restaurant se prêtait de façon excellente à des réunions et assemblées générales, des concerts, banquets, ventes en adjudication et conférences. Les premières années d’exploitation tombaient en pleine crise économique due à la première guerre Mondiale. En 1916, la famille Molitor cherchait à gagner sa clientèle de restaurant par l’organisation de quelques concerts. Les années qui suivirent la première guerre Mondiale réunissaient à l’Hôtel Central Molitor les Luxembourgeois ayant servi dans l’armée belge ainsi que l’Association des Luxembourgeois sinistrés en France. Adam Molitor attirait ses collègues instituteurs pour fêter régulièrement les anniversaires de leurs remises de diplômes, respectivement pour l’organisation des assemblées générales du « Katholischer Lehrer und Lehrerinnen-Verband ». Amis de la nature, Charles Molitor parvint à attirer pendant des années les assemblées générales des « Kleingärtner », du »Garten –und Heimverband » de l’association pour la protection des oiseaux, des amis des pigeons-voyageurs, de l’association nationale des apiculteurs et de celle des pêcheurs sportifs. La salle de réunion, située à mi-chemin entre la gare et la Ville haute attirait également les syndicats professionnels : les employés de la Compagnie des chemins de fer Guillaume-Luxembourg, les membres de la caisse aux décès pour retraités, l’association locale des employés privés, l’association des banquiers de Luxembourg, les patrons distillateurs, les maîtres-tailleurs, les cordonniers, les boulangers, les laitiers, les patrons menuisiers et les ébénistes. Une page importante page de l’histoire sociale fut ainsi écrite à l’Hôtel Central Molitor. Sur le plan culturel la maison attirait régulièrement l’association des photographes professionnels, le « Journalistenverband » ou encore les philatélistes pour des réunions de travail ou assemblées générales. Le projet d’organiser en 1930 des fêtes en honneur du 70e anniversaire du journaliste et auteur Batty Weber, est né lors d’une réunion à l’Hôtel Central Molitor. Charles Molitor organisait de façon ponctuelle l’exposition de tableaux dans son restaurant. En 1939, la société de Gymnastique louait salle pour des représentations de films amateurs en couleur. La conférence « Jugend-Kultur – ein Wirtschaftsfaktor » tenue par la Elisabeth-Selbert-Akademie qui prône l’apprentissage individuel et indépendant (pédagogie Dalton) fut très remarquée au Luxembourg. Ce fut en 1993. 

Le quartier de la gare, se développant, l’Hôtel Central Molitor prit une position de plus en plus centrale dans la vie du quartier : l’Union Commerciale de Luxembourg-Gare-Hollerich et Bonnevoie s’y réunit si régulièrement que l’Obermosel-Zeitung de 1937 qualifiait l’Hotel de « Klubhaus der Union Commerciale ». Ce fut d’ici que partit, en 1937, l’appel de plusieurs délégations de sociétés de la capitale pour organiser régulièrement une cavalcade. Ce fut à l’Hôtel Central Molitor que Saint-Nicolas avait trouvé refuge en 1937 lors d’un cortège sous une pluie battante. A partir de 1946, le Syndicat des Intérêt locaux de Luxembourg-Gare avait choisi pendant des années, la salle Molitor pour ses réunions du Comité et ses assemblées générales. Le monde sportif fut moins présent, les tournois d’échecs furent aussi rares que le logement d’équipes sportives. Ces traditions disparaîtront avec l’ouverture des centres culturels locaux gérés par la commune. 

A partir de 1919 et jusque dans les années 1960, d’importants projets immobiliers furent mis en adjudication à la salle Molitor. Ici, comme ailleurs, l’organisation de banquets pour mariages, partances à la retraite, ou anniversaires, dîners de réveillons, se multipliaient dès les années 1930. Depuis 2012, l’ancien restaurant servit de salle pour le petit-déjeuner des clients de l’hôtels. Ces locaux spécifiquement équipés pouvaient être loués pour la tenue de réunions et de conférences privées. 

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