Le Café de la Paix au Boulevard Royal

Café de la Paix 1920 © FIEDLER JP Lëtzebuerg am Zäivergläich 4 Esch-sur-Alzette 1997 p 75
Le Café de la Paix au Boulevard Royal
Robert L. Philippart
L’ancien Café de la Paix au coin boulevard Royal et Grand’Rue a disparu ensemble avec le Grand Hôtel Brasseur en 1970. L’établissement existant à peine 100 ans, était un lieu populaire, recherché par les notaires pour y organiser des ventes publiques.

Un Café à l’origine du boulevard Royal
Suite à la suppression de la forteresse en 1867, l’Avenue Emile Reuter avait été la première à être ouverte en 1869. Le boulevard Royal était à l’époque pas encore aménagé. Le site présentait toujours l’ancien fossé principal en cours de remblaiement. Une aubette d’octroi, pour la perception de taxes d’entrée et de sorties de marchandises de la ville se trouve à la jonction de l’Avenue avec le boulevard. Désormais la Grand’Rue retrouve son raccordement à la route d’Arlon qui lui fut muré en 1644 suite au renforcement des remparts. J.B. Ferrant tenait depuis 1863 de l’estaminet « Ferrants-Gaard » devant la Porte Neuve. Destiné à loger un café, Ferrant fit construire en 1870, à l’angle du futur boulevard Royal, un immeuble à deux étages, élevé avec des pierres en provenance de la démolition des bastions et remparts. L’Hôtel Brasseur attenant fut construit à la même époque. Ferrant avait acquis la parcelle orientée vers l’extérieur de la ville, tandis que J.P. Brasseur avait acheté à l’Etat, propriétaire des anciens domaines militaires, la parcelle formant le coin entre la Grand’Rue et la rue Aldringen, donc orienté vers la ville. La maison Ferrant allait être retenue comme référence pour l’alignement du futur boulevard Royal en cours d’aménagement. Ce fut le premier immeuble pour entrer en ville, les îlots entre le boulevard Royal et le parc de la ville n’étant pas encore construits. L’établissement de Ferron proposait des écuries pour 40 chevaux. Deux portes cochères aménagées dans une annexe du côté du boulevard Royal y assuraient l’entrée. Elles étaient conservées jusqu’à la démolition de l’immeuble.
Cet emplacement fut plus excentrique que celui de Ferrant à la Porte Neuve, car la route d’Arlon ne représentait pas l’accès majeur à la ville mais recherché par trois hôteliers[1]. Il fallut attendre jusqu’en 1903 pour voir le boulevard Royal être connecté à la gare centrale par le pont Adolphe. A la hauteur de la rue Aldringen, l’ancienne caserne d’artillerie avait été convertie en ganterie. De 1904 à 1954, les locomotives à vapeur de la ligne Luxembourg-Echternach (Charly) empestaient le carrefour. A partir des années 1950, avec une circulation automobile de plus en plus dense, le carrefour était encombré de voitures et un lieu fréquent d’accidents. Début des années 1960 , la terrasse de l’établissement aménagée après 1920 fut transformée en véranda avec une façade en éléments préfabriqués de couleurs différentes. Entre 1970 et 1975 les quatre angles du carrefour Avenue Emile Reuter et Boulevard Royal disparaissaient au profit de surfaces de bureaux.
Toujours de nouveaux exploitants
Jean-Nicolas Klapdohr et son épouse Françoise Warisse exploitaient l’Hôtel Klapdohr de 1876 à 1885. Jean Nicolas était issu d’une famille d’aubergistes tenant l’Hôtel des Ardennes à la rue du Marché-aux Herbes. L’Hôtel Klapdohr à la rue de l’Arsenal (nom changé en Grand-Rue en 1925), servait le déjeuner et dîner « à toute heure » et proposait un « Mittagstisch » pour les artisans et ouvriers travaillant à la ville haute. Les 28 Chambres meublées étaient destinées à accueillir des pensionnaires, c’est-à-dire, des jeunes hommes fréquentant l’Athénée. A partir de 1880 des chambres furent données en location pour servir de cabinets à des professions libérales. Des fermiers se rendant en ville comptaient également parmi la clientèle. L’établissement servait de la bière de Munich, des vins de qualité, des vins et liqueurs « de premier choix ». Le salon de l’Hôtel prêtait son cadre à des fêtes locales, dont l’anniversaire du corps musical Concordia. A partir de 1879, la Brasserie de Diekirch y servait la bière en bouteille. Le frère de Marguerite, J.B. Warisse assurait la fonction de dépositaire de la brasserie avec siège à l’Hôtel Klapdohr. Il allait assurer la livraison de la bière à domicile et disposait d’une licence pour la fabrication d’eaux minérales et de limonades. En 1882, la maison se fit remarquer par une exposition-vente exceptionnelle de 200 tableaux de paysages et de portraits réalisés par des artistes viennois.
En 1885 l’établissement est repris pour une très courte durée par le chef cuisinier de l’Hôtel de l’Europe situé à l’Avenue de la Porte Neuve. Maron-Molitor allait ouvrir un an plus tard l’Hôtel des Nations en face de la gare, un lieu bien plus fréquenté que celui de boulevard Royal. En 1886 suivirent l’hôtelier Jean Mangen et son épouse Anne Ludig qui exploitaient l’établissement jusqu’en 1890, où eux également allaient ouvrir l’Hôtel des Voyageurs en face de la gare.
Le Café fut repris en 1890 par la famille Becker-Treinen qui y gérait le « Restaurant Becker » proposant des menus fixes (une nouveauté !) du samedi au lundi. Les spécialités de la maison furent le gras-double, la tête de veau et le civet de lièvre. Ces plats furent servis « à toute heure ». En 1901 Nicolas Kirsch et Angélique Baillieux reprenaient les affaires et cherchaient à attirer à l’Hôtel Kirsch-Bailleux leur clientèle par des concerts ponctuels. L’établissement servait de l’Augustinerbräu » et continuait à miser sur une clientèle de classe moyenne, alors que le Grand Hôtel Brasseur, voisin, accueillait diplomates et hôtes du Gouvernement.
Intermezzo
En 1910, l’ingénieur Albert Louis Wurth y installa son magasin de cuisinières à gaz au carrefour Boulevard Royal / Avenue Emile Reuter. Ses lieux de production et de stockage se trouvaient au quartier de la Gare à la rue du Fort Wedell.

Hôtel et Café de la Paix
En 1914 François Scharff-Vannière allait reprendre l’enseigne et lui donner le nom définitif de « Café de la Paix ». La première guerre Mondiale venait d’éclater 5 mois plus tôt. Scharff-Vannière avait exploité pendant quinze ans le Café du Commerce à la place d’Armes. Ce fut l’époque des premières grandes ventes aux enchères organisées au Café. En 1922, Scharff-Vanière céda l’établissement à Josy Hames qui visait à rajeunir sa clientèle en s’adressant aux lycéens « alleinstehende, noch alleingehenkönnende Männer und Jünglinge ». Josy Hames organisait des soirées qu’il animait au piano et son bistrot fut la scène de nombreuses discussions politiques. Il allait relaisser l’entreprise en 1929 pour reprendre l’Hôtel Au vieux Château à Wiltz. Lucien Amberg reprit le commerce. Il aménagea une terrasse à l’emplacement du jardin qui précédait l’immeuble côté boulevard Royal. Amberg était le fils d’Adolphe Amberg Junior et petit-fils d’Adolphe Amberg Senior, une dynastie de cabaretiers à Luxembourg. Adolphe Amberg Senior était le fondateur des spectacles variétés à la Villa Louvigny, puis à l’Apollo-Theater / casino de gare à la rue de Strasbourg. Adolphe Amberg Junior détenait le Café-théâtre « Au vieux Luxembourg » à l’Avenue de la Liberté. Il fut aussi compositeur d’opérettes. Lucien détenait le Dancing « Ambassadeurs » avant de reprendre le Café de la Paix. En 1934 il prit la direction de la brasserie Alfa. Le Café de la Paix passa ensuite à Arthur Decker, né à Aubange, qui avait commencé sa carrière comme garçon de salle à l’Hôtel Staar à la Gare avant de reprendre à son nom, en 1925, le Café de Paris à la place d’Armes. Il gérait le Café de la Paix jusqu’en 1954. Vic Sterges fut le dernier gérant de l’établissement qui ferma en 1970. Il fut réputé pour servir de la Stella Artois. Le monde associatif regrettait beaucoup la disparition d’un lieu de rendez-vous séculaire, alors que le nouveau monde de la finance s’attendait à de nouvelles formes de brasseries. L’hôtel dont le nombre de chambres variait entre 30 et 25 suivant les époques d’exploitation cessa ses activités dans les années 1950. Seul le Café de la Paix poursuivait ses affaires.
L’aile réservée au commerce
Côté Grand Hôtel Brasseur à la Grand’Rue se trouvait une grande porte cochère menant aux anciennes écuries. A partir de 1899, l’épicerie Treinen-Schmit, dépositaire de la marque d’épices « Maggy » s’y est établi. L’épicerie occupait la moitié du rez-de-chaussée de l’immeuble. Elle fut gérée de 1899 à 1956 par la famille Treinen-Schmit, ensuite par J. Calmes et finalement de 1958 à 1960 par Jempi Graul-Bram qui reprit le Café de la Faïencerie au Limpertsberg. L’enseigne Tapis Hertz allait s’établir à côté du Grand Hôtel Brasseur jusqu’à la fin du bail en 1970. Un salon de coiffure se trouvait à l’arrière du bâtiment.

[1] Maison Ferrant, Grand Hôtel Brasseur, Hôtel Continental