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Zum Goldenen Anker - L'Ancre d'OR

Mémoire d'établissements Horeca

« Zum goldenen Anker »

Robert L. Philippart

Partie I

Il est rare de pouvoir retracer l’histoire d’une enseigne aussi ancienne que celle de l’Ancre d’Or. L’histoire de cet établissement  montre à quel point  la brasserie ou le restaurant sont un lieu important où se jouait  la vie sociale. Elle illustre aussi à quel point la personnalité de l’exploitant réussit à fidéliser sa clientèle, les associations locales, culturelles et politiques.

Ancien séminaire des Pères Jésuites

L’ancien Hôtel  Zum goldenen Anker, sis à la rue du Fossé compte parmi les auberges les plus anciennes du pays. Elle était installée dans un des anciens bâtiments du séminaire de la communauté des Jésuites. Celle-ci s’était installée ici en 1689 dans les anciennes maisons de Bande et Ludling. Les Jésuites dirigeaient depuis 1641 en dehors de leur collège, l’Athénée, un séminaire de formation théologique.  Celui-ci occupait sur ce site  5 immeubles différents  répartis entre la rue de l’Eau, le Marché-aux-herbes, la rue de la Reine et la rue du Fossé. Une importante porte cochère menait de la rue du Fossé vers la cour  intérieure au fond de laquelle se trouvait l’importante maison abritant le corps central du séminaire et qui deviendra hôtel.

Intégré dans l’enceinte fortifiée

Après la suppression de l’ordre des Jésuites en 1773 par le pape Clement XIV et les lettres patentes de l’Impératrice Marie-Thérèse,  la grande maison du séminaire avait été vendue en 1774 à François Louis Bette, capitaine du régiment du Comte d’Arberg au service de  l’Impératrice autrichienne Marie-Thérèse. L’immeuble intégrait la tour N°14 de la première enceinte en pierre de la ville. Celle-ci est datée de nos jours à la période  de construction s’étirant de 1170 à 1190. Ceci explique l’existence de la forte épaisseur des murs de l’ancien bâtiment, disparu de nos jours et de la forte épaisseur des murs du pavillon. L’ensemble historique a été démoli en 1980, la loi de 1983 concernant la conservation et la protection des monuments nationaux n’existant pas encore.

Auberge depuis 1823

Les origines de l’établissement Zum goldenen Anker remontent à 1823, c’est-à-dire à la vente de l’immeuble suite à l’héritage en provenance de la famille Bette. L’aubergiste Heuertz-Majerus était le premier à y établir une auberge. En 1850, des vendeurs et artisans ambulants s’établirent chez « Kintzinger » qui venait de reprendre l’enseigne. En 1863, la maison fut dirigée par la famille Anders-Vesque.

Du temps de la forteresse, du bois de cheminée, du charbon, des céréales en provenance de Berlin, des chevaux furent déposés dans la cour et y mis aux enchères. Les salles de l’établissement servaient également à la tenue de ventes publiques d’immeubles. Grâce à sa vaste cour,  avec abreuvoir pour chevaux, l’auberge servait en 1866 de rendez-vous tant aux messagers postaux qu’aux livreurs de toutes sortes de biens, y compris de mobilier. Les diligences postales partaient en direction de 20 localités du pays, dont Clervaux, Echternach, Vianden, Mersch, Mondorf  et Remich. Certains artisans avaient même loué des dépôts temporaires dans différentes pièces de l’établissement. Ils faisaient leur commerce à l’adresse de  l’auberge. La maison profitait directement des relations avec les marchands de la campagne se rendant en ville à l’occasion du marché. De jeunes artisans annonçaient dans la presse qu’ils étaient à la recherche du travail. Ils n’étaient pas originaires de la ville et indiquaient l’Hôtel Anders – zum goldenen Anker comme adresse de résidence. A partir de 1869, la veuve Anders-Vesque allait gérer toute seule l’établissement.

Jérôme Anders combattant pour la démocratie

Son fils Jérôme Anders allait reprendre l’auberge peu avant 1887. Il s’était engagé pour représenter le commerce de la ville au sein du syndicat « Handelsbund ». En 1888 et 1894, il s’était présenté avec succès aux élections au conseil communal. En 1890 Jérôme Anders se fit remarquer par son soutien à la demande de réduction du cens électoral. Ainsi, il soutenait l’idée de vouloir « faire participer au gouvernement le plus grand nombre de citoyens ». Il considérait que « l’exercice du droit de vote constitue la seule voie légale pour réaliser les justes revendications des classes laborieuses » (Indépendance luxembourgeoise 5 mai 1891).

J.-Jérôme Anders fut membre fondateur des « Königlich-Grossherzoglichen Geflügelvereines » ce qui lui permit d’accueillir dans son établissement régulièrement l’assemblée générale de cette association ainsi que des expositions avicoles. Les réunions étaient arrosées de vins de la Moselle, de la Sarre et de Bordeaux. En 1891, le « Fauna Verein Luxemburger Naturfreunde » fut fondé à l’auberge « zum goldenen Anker“.  L’auberge devint aussitôt le rendez-vous du « Lehrer Unterstützungsvereins », du « Bauernverein », des retraités du Corps des Chasseurs luxembourgeois regroupés au  sein du « Ex-Militärverband ». Les syndicats des coiffeurs, des cordonniers, des installateurs, des charpentiers tenaient régulièrement leurs réunions à l’Ancre d’Or. Ces réunions pouvaient comporter jusqu’à 37 personnes.

Jérôme Anders jr, fondateur de la promotion touristique

Jérôme Anders eut comme fils Jérôme (1893-1983), économiste à l’instar de qui l’Union des villes et centres touristiques avait été fondée en 1933. Cette Union est l’ancêtre de l’Office National du Tourisme, aujourd’hui Luxembourg for Tourism. Anders se distinguait également par ses nombreuses publications et analyses sur l’évolution du tourisme luxembourgeois et de l’économie du pays en général.

ancre d'or

« Zum goldenen Anker »

Robert L. Philippart

Partie II

Le N°23 à la rue du Fossé accueille depuis 1823 une auberge avec restaurant. L’histoire de « l’Ancre d’or »  est fortement liée à celle de la politique nationale. Avec la disparition de l’immeuble historique et de son nom, la mémoire de ce lieu s’estompe. Une nouvelle histoire s’écrit.

Un lieu politique

En 1902, l’auberge Ancre d’Or était reprise par la famille J.N. Zender-Angelsberg. Comme dépositaire de l’eau minérale « La Préférable » en provenance de  la région de Vichy, Jean Zender utilisait les caves historiques de son établissement pour stocker ses bouteilles. La vie sociale continua à se développer.  Le « Bauernverein » s’y réunit toujours, le « Meisterverband » fédérant les différents métiers artisanaux du pays y est fondé 1a même année. « Luxembourg Attractions », le prédécesseur du Luxembourg City Tourist Office y tenait ses réunions de préparation d’un « concert monstre » en 1906. En 1909 le Cercle Artistique Luxembourgeois y tint son assemblée générale. Au décès de Jean Zender, son épouse Marguerite Angelsberg allait poursuivre les affaires. Elle continuait à accueillir des pensionnaires. Le parti libéral et démocratique  s’y réunit en 1911. Le « Lehrerunterstützungsverein » qui deviendra la fédération générale des instituteurs luxembourgeois, militant pour davantage de liberté et affranchissement de l’enseignement officiel de la tutelle cléricale, continuait à se réunir au « Goldener Anker ».

L’établissement est vendu début 1914 à l’industriel M.C. Saint-Amant originaire de Nancy, ce qui n’allait pas marquer trop de changement. En 1916, l’avocat et industriel Alexis Brasseur confiait au Luxemburger Wort (15.07.1916) ce qui se passait au restaurant de l‘auberge : « Wir sprachen uns dort des öftern in vertraulicher Weise über politische Angelegenheiten aus, achteten, aber stets darauf, dass keine fremden Ohren zuhörten ».

En 1919, l’enseigne changea à nouveau de propriétaire, la maison échut à Nicolas Scharl-Thill. L’aubergiste fut un des premiers propriétaires de voitures, ce qui explique son affiliation au Touring Club et les réunions de cette association à l’Ancre d’Or.  Son menu pour la Saint-Sylvestre 1919 proposant comme mets la mayonnaise de homard, de l’oie rôtie, du jambon des Ardennes, des beignets d’orange et glaces présentait une nouveauté sur le marché. Nicolas Scharl était président de l’Association des cafetiers, président de la coopérative des hôteliers et cafetiers, président de la Caisse de décès des hôteliers et cafetiers.  Sa présence à l’Ancre d’Or fut extrêmement courte, comme il trépassa en février 1920 à l’âge de seulement 43 ans.  Son épouse allait poursuivre la bonne gestion des affaires. Elle introduit le menu gastronomique du dimanche  servi avec des huîtres d’Ostende, des soles meunières, du filet de turbot, des steaks de chevreuil. L’introduction des réfrigérateurs jouait un rôle important dans ce nouvel art culinaire. Marie Scharl-Thill louait les salons de  son établissement pour l’organisation de noces et de banquets; elle acceptait la tenue  de ventes publiques. Malgré ces efforts, la presse constatait en 1927 que l’établissement avait perdu sa bonne réputation.

Trianon-Terrasse

En 1927 l’immeuble fut vendu à Charles Muller-Greis qui entreprit d’importants travaux de rénovations. Les chambres étaient meublées à neuf, la cuisine modernisée, les salles et la terrasse dans la cour décorés dans le goût de l’époque. La salle principale et la grande terrasse portaient désormais le nom de Trianon-Terrasse. Une petite scène y avait été aménagée, un orchestre y donnait régulièrement des concerts pendant la saison d’été.

assiette

Attirer une clientèle de fidèles

Déjà en novembre 1929 l’établissement passait aux mains de Pierre Beffort.  Celui-ci réussit à renouer avec le passé de l’établissement en accueillant la société « Fauna Luxembourg » pour son 40e anniversaire de sa fondation. En 1930, le Ministre d’Etat Joseph Bech y donnait une allocution au cours de l’inauguration de la « Weinwoche » initiée par Auguste Schulz. Beffort proposait une cuisine plus populaire en servant des fritures de la Sûre arrosées de vins de la Moselle et de la Sarre. Comme nouvelle clientèle, il visait les pèlerins de l’Octave. Il leur fit imaginer que l’établissement remontait à 1773 et était destiné dès ses origines à accueillir les fidèles. Des menus à prix fixe et à bas prix servis à toute heure devaient attirer tous ceux qui n’aimaient pas les restaurants du « Mäertchen ». Pierre Beffort accueillait également le comité de pétition contre la construction de l’église du Sacré-Cœur au quartier de la gare. Ce comité considérait que cette église supplémentaire allait concurrencer celles de Saint-Michel et de la Cathédrale et dévier la clientèle des commerces de la vieille ville vers le quartier de la gare. En 1933 Pierre Beffort remit la clé de son établissement à Servais Rommes-Fischbach, ancien chef de la cantine des usines HADIR à Differdange. L’Hôtel « zum goldenen Anker » disposait alors de 12 chambres. Rommes-Fischbach poursuivait la politique d’attrait des pèlerins en leur proposant le matin « Kaffee mit Brötchen und Butterbroten » et en cours de journée « Würstchen mit Sauerkraut » ou des « Saucissen- an Hameschmieren ». Les soirées étaient animées, car les deux salles de fêtes étaient équipées d’un piano. L’une de ces salles pouvait contenir jusqu’à 200 personnes. Au bout de quatre ans d’exploitation, Servais Rommes-Schmid quittait les lieux pour reprendre l’Hôtel Fend à Capellen.

1937 propriété de la fédération générale des instituteurs luxembourgeois

L’Hôtel « Ancre d’Or », son fonds de commerce, ainsi que son mobilier furent rachetés en 1937 par la fédération générale des instituteurs luxembourgeois. La maison leur servait définitivement de siège social. L’établissement fut désormais exploité par Victor Wolter-Hoffmann. Une nouvelle clientèle, recrutée dans les milieux de la gauche anticléricale fut désormais visée comme potentielle : les éclaireurs luxembourgeois, l’association des infirmiers et infirmières, l’association générale des étudiants (ASSOSS)  y tenaient leurs réunions et assemblées. La grande cour intérieure servait entretemps de parking privé aux clients.

comptoir

Treffpunkt der Escher

En 1941, le chef de la Zivilverwaltung allait reprendre l’immeuble à l’ancienne fédération des instituteurs qu’il venait de dissoudre. L’auberge « Zum goldenen Anker auf dem Knuodler » était devenue pendant la guerre le « Treffpunkt der Escher ». En 1948, Ady Hoffmann-Olinger reprit l’établissement et le soumit à une solide rénovation. En 1949, l’Ancre d’Or proposait 16 chambres à sa clientèle. Au prix de 50-85 francs, par chambre individuelle, l’établissement se situait dans la catégorie des hôtels pour classes moyennes.

Trattoria

En 1968, « l’Hôtel de l’Ancre d’Or » avait une fois de plus fait peau neuve. Léo Antonogli et son épouse Anna Trigatti avaient repris l’établissement pour ouvrir au rez-de-chaussée dans l’aile droite de l’immeuble une trattoria. L’aménagement était de style italien. Le couple avait déjà fondé en 1962 l’Hôtel Italia à la rue d’Anvers. L’Ancre d’Or  proposait en 1971 14 chambres et un restaurant avec 80 couverts. Madame Trigatti assurait l’exploitation jusqu’à la vente de l’immeuble à la Compagnie luxembourgeoise de la Dresdner Bank en 1979.

Nouveau départ dans un nouveau bâtiment

Dans un immeuble flambant neuf, construit par cet établissement financier, Jerry Thorn allait ouvrir sa brasserie « A l’Ancre d’Or » en 1980.  Il en assura l’exploitation jusqu’en l’an 2000. Patrick Braun en prit la relève pour une courte période. En 2009, le Bar Restaurant Brumi était établi à l’enseigne et depuis 2012 le restaurant italien Delirio Culinario.

La mémoire du nom de l’établissement de tradition « A l’Ancre d’Or » semble s’est estompée avec la disparition d’un immeuble historique.

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Historique