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Hôtel Dauphin,42, avenue de la Gare

MÉMOIRE D'ÉTABLISSEMENTS HORECA

Photo © Luxemburger Wort 14. Dezember 1963

Hôtel Dauphin,42, avenue de la Gare

Robert L. Philippart

L’Hôtel Dauphin à l’avenue de la Gare était un hôtel discret axé sur une clientèle d’affaires de type de classes moyennes. Ce fut un établissement réservé aux visiteurs et ses salons ne furent qu’occasionnellement fréquenté par la population autochtone. Son exploitation ne dépassait guère 40 ans (1958-1998).

Proche de la gare, mais dans le rayon militaire

L’emplacement que l’Hôtel Dauphin allait occuper en 1958 au N°42 de l’avenue de la Gare représentait du temps de la forteresse un terrain non constructible. Jusqu’à la dissolution de celle-ci, en 1867, le terrain fit partie des glacis de l’ancien front de Thionville.

Cette obligation de « terrain nu » valait malgré l’ouverture de la gare en 1859. Cette prescription ne sera levée qu’à partir du départ de la garnison en 1867.

Le terrain qui allait être occupé par l’Hôtel Dauphin faisait partie de la commune de Hollerich qui fut absorbée par la Ville de Luxembourg en 1920. Cette appartenance à une autre commune que celle de la capitale, avait libéré les habitants du paiement de la taxe dite d’octroi sur l’importation et l’exportation de marchandises dans la ville.

L’aménagement de l’avenue de la Gare

Comme suite au Traité de Londres de 1867, Luxembourg devait cesser d’être une ville fortifiée. Il fallut cependant attendre jusqu’en 1872 pour que les ouvrages militaires sur le front de Thionville étaient complètement rasés et que l’avenue de la gare fut rectifiée par rapport à son tracé du temps de la forteresse et aménagée dans sa largeur actuelle. A partir de 1875 le tramway passe à travers l’avenue de la Gare en direction de la Ville haute et du Glacis. Le cahier des charges pour la construction d’immeubles fut publié en 1876. Il prescrivait des constructions à façades régulières, en pierre, la fermeture des propriétés par des grilles en claire-voie, l’alignement des constructions, un minimum de deux étages. Les rez-de-chaussée étaient réservés à des commerces, cafés ou hôtels.

En 1877, le carrefour avec la rue de Bonnevoie est aménagé et le raccordement (rue Origer) en direction du Fieldgenswee (rue d’Anvers) suivait dans les années d’après. Les quartiers latéraux en direction des futures places de Paris et Wallis ne furent aménagés qu’à partir de 1884.Les parties arrières des terrains des propriétés longeant l’avenue de la Gare furent coupées par l’aménagement de l’avenue de la Liberté en 1903.

Quartier semi-industriel et commercial

La proximité de la gare avait attiré plusieurs manufactures et industries, dont les forges et laminoirs de Luxembourg, la scierie de Saint-Hubert, la marbrerie Jacquemart, la manufacture de lits en fer Berl et ultérieurement la manufacture de Champagne Eugène Mercier. La scierie de Saint-Hubert, le marbrier Jacquemart et le dépôt de matériaux constructibles Glesener-Loewen étaient logés dans l’avenue de la Gare sur des terrains très vastes. La marbrerie Jacquemart était située jusqu’en 1976 en face de l’ancien Hôtel Dauphin. Le site est aujourd’hui occupé par l’Hôtel Park Inn by Radisson. Les dépôts Glesener-Loewen étaient installés sur la parcelle ultérieurement occupée par l’Hôtel Dauphin. La propriété allait être portée en 1893 à 1,5 ha pour accueillir la scierie industrielle de Nicolas Glesener-Loewen. Après l’aménagement de l’avenue de la Liberté, les héritiers Glesener morcelaient leurs terrains et maintinrent leur site à l’avenue de la Gare pour y établir leur commerce de bois et de quincaillerie. En 1938, la propriété est amputée de son jardinet qui précédait les installations dans le cadre de l’élargissement de l’avenue de la Gare. En 1947 la société Glesener-Frères fut rachetée par la société Emile Maroldt spécialisée dans la vente de matériaux de construction. Cette entreprise bien qu’installée à la route de Thionville, maintenait une surface d’exposition et commerciale sur l’ancien terrain Glesener-Loewen, côté avenue de la Liberté. Les anciens locaux de commerce côtés avenue de la Gare furent loués dès 1948 à différents commerçants, dont le magasin de cuir et de chaussures « Cuir Seckler » et à une mercerie. La cour fut louée à Aloyse Seffen qui stationnait les  voitures automobiles qu’il donnait en location.

dauphin
photo Léon Stirn © Photothèque de la ville de Luxembourg

Monopol et Hôtel Dauphin

En 1955, la propriété était passée à la S.A. grands magasins Monopol » fondée en 1948 et émanée de l’entreprise de merceries et de vêtements qu’Antoine Scholer avait lancée en 1931. Les magasins Jelmoli de Zurich étaient coactionnaires de la société.

Toujours en 1955, Nicolas Scholer se faisait conseiller par les architectes experts en construction de grands magasins, Fehr de Zurich (Jelmoli) et Feldmann de Essen. Ils assistaient également au jury du concours d’architectes qui avait été lancé la même année, et dont quatre bureaux d’architecture luxembourgeois avaient été primés. L’objectif était de réunir les différents points de vente de la société Monopol jusque-là répartis sur le territoire de la ville de Luxembourg, ainsi que de son administration au sein d’un grand magasin.

Le projet incluait également la construction d’un hôtel. Les travaux de construction débutaient en novembre 1955. L’interstice occupé par des baraques à l’avenue de la Gare fut enfin occupé.  Le 3 avril 1957 le grand magasin Monopol pouvait accueillir ses premiers clients. Les lauréats du concours d’architectes en 1955 avaient été Nicolas-Schmidt-Noesen et son fil Laurent en collaboration avec l’architecte Robert Heintz.

Hôtel Dauphin

L’Hôtel Dauphin fut inauguré le 31 juillet 1958. Le nom de « Dauphin » reflète un nom bien réfléchi, celui du successeur au roi, mais qui n’est pas encore roi. C’est bien cette position que l’établissement voulait occuper auprès de sa clientèle cible. En témoigne le fait que pas toutes les chambres étaient équipées de bains ou de douches, ce qui permit d’atteindre une clientèle plus vaste en offrant des séjours à prix moyens. « Dabei verfügt das Hôtel Dauphin über einen zwar unaufdringlichen aber neuzeitlichen und geradezu luxuriösen Komfort, wie er hierlands nie zuvor in einem Hotelbetrieb verwirklicht worden war. Neben einem vollautomatischen Lift der die verschiedenen (5) Stockwerke bedient, neben einer kombiniert internen und externen Fernsprechanlage, neben Rundfunkempfängen gern in allen und Fernsehgeräten in mehreren Zimmern hat das Hotel Dauphin eine einzigartige Verschiedenheit in der Ausstattung der insgesamt siebenundreissig Zimmer, die es befähigt, nach einem Wort Goethes, vieles, daher auch manchem etwas zu bieten. Die komfortablen Zimmer, die geräumig gemütlichen Foyers auf den Stockwerken, seiner höchst modernen Bedienung, alles ist von einer solch behaglichen, vornehmen, ja königlichen Eleganz (…)“ (Le dauphin est roi, in Lëtzeburger Land 7 septembre 1959).

Dans les années 1960, l’hôtel accueillait outre la clientèle de passage, celle qui fut à la recherche d’un logement définitif, d’une maison ou d’un appartement. Beaucoup laisse à supposer qu’il s’agissait de fonctionnaires européens qui venaient s’installer au Luxembourg dans le cadre des Communautés Européennes du Charbon et de l’Acier, respectivement de la fusion des trois traités Euratom, CECA et des Communautés économique. Des entreprises internationales louaient également des chambres dans le cadre de leurs actions de recrutement de personnel à Luxembourg. L’Hôtel se réjouit en 1963 de pouvoir accueillir le FC Schalke 04, dont la réputation pour pouvoir jouer dans la Bundesliga n’était plus à faire.

L’Hôtel Dauphin était toujours très discret dans sa communication, comme il recrutait sa clientèle directement dans le monde des affaires, des représentants de voyages. Le tourisme de loisirs ne fut pas un marché prioritaire ce qui explique également sa présence limitée sur le marché des tour-opérateurs. L’établissement n’était pas non plus un lieu de rendez-vous pour la population autochtone. Le premier exploitant fut Aloyse Steffen-Schmit, qui avait loué la cour de l’ancien site « Glesener-Loewen » pour les voitures automobiles qu’il donnait en location. En 1953, il avait ouvert le Café Diana à la rue Dicks. Steffen n’assurait l’exploitation que d’août à septembre 1958. Son successeur fut H. Stutz, diplômé de l’école hôtelière Suisse, qui rapidement constitua son équipe pour assurer le bon fonctionnement de l’établissement. Les liens avec le cosociétaire Jelmoli de Zurich semblent expliquer le choix de la personne de Henri Stutz.

Grandes star de télé à l’Hôtel Dauphin

Au premier étage se trouvait la »Taverne » de l’Hôtel où fut servi le petit-déjeuner, la demi-pension et la pension complète. Ce restaurant pouvait servir jusqu’ 90 clients. L’établissement servait la bière Henri Funck Pilsen et double Bock ainsi que la boisson fruitée Sinalco.

« Der einladende Empfangsraum mit dem Vivacissimo einer beschwingten Farben-Symphonie, der vorzüglich ausgeleuchtete Caféraum mit seiner Panorama-Verglasung nach der Bahnhofsavenue, der Bauglaswand zum Empfangsraum (Le dauphin est roi, in Lëtzeburger Land 7 septembre 1959) fut tantôt appelé « Taverne », tantôt » Café-Dancing  le petit Dauphin ». Stutz y organisa pour la Saint-Nicolas 1958 une soirée avec l’orchestre Willy Fruth et ses solistes et la star de télévision Bianca Cavallini. Le weekend qui suivait l’ensemble donnait un concert apéritif et un café-concert « Wunschkonzert » avec pâtisseries pendant l’après-midi. Bianca Cavallini était une chanteuse suédoise, connue par ses prestations à la BBC Londres, ses spectacles avec Perez Prado et le Paul Kuhn Ensemble. Elle avait sorti plusieurs disques, dont « Wüstenwind- nicht so stürmisch, junger Mann » qui fut un franc succès. Elle était devenue populaire par ses rôles dans plusieurs films télévisés « Wigwam, Western, weisse Wölfe », « Zirkusträume » et d’autres. Elle participait à la série musicale télévisée « Von Melodie zu Melodie ». Ce type de programmation se poursuivait avec la « Teenager Fashion Show » organisée le 14 septembre 1959. Cette fois-ci, Stutz avait réussi à engager Zappy Max, l’animateur de nombreux jeux sur Radio Luxembourg comme Quitte ou double ou encore le Crochet radiophonique. Zappy était accompagné du clarinettiste de réputation internationale Maxim Saury.  

En 1964, les responsables de la filiale luxembourgeoise de l’entreprise américaine Monsanto spécialisée dans la production de semences et d’herbicides présentaient leurs activités dans les salons de l’Hôtel Dauphin. Il s’agissait d’une des grandes entreprises américaines qui s’était établie au Luxembourg et qui ferma ses portes en 1978.

En 1965, les salons de l’hôtel accueillaient des représentantes de la « Elizabeth Arden Frauenschule ». Il s’agissait d’une des actions de marketing de « Elizabeth Arden INC » proposant des cours de maquillage et de soins de beauté. Cette entreprise proposait quelque 1.000 produits à une clientèle exclusivement féminine. Le choix de l’hôtel pour ces cours, aurait-il été guidé par la vente de ces lotions, crèmes et parfums au magasin à rayons multiples, Monopol ? 

Toujours sur le plan de la formation, mais d’un tout autre type, il faut mentionner les cours du professeur Armand Faber, en 1973, sur « les tendances d’unification européenne ». Ces formations étaient organisées par le Carl Duisberg Center de Düsseldorf en coopération avec la Maison de l’Europe à Luxembourg. Les centres Carl Duisberg préparent des étudiants étrangers à leur parcours universitaire en Allemagne. Le public accueilli à l’Hôtel Dauphin était constitué d’étudiants espagnols, éthiopiens, népalais, afghans, taiwanais, ou encore en provenance du Burundi, du Malawi, du Cambodge et de la Tunisie.

Akaafszenter Al Avenue

Dans les années 1970, la vie nocturne au quartier de la gare fut déjà marquée par la prostitution et la criminalité de rue. En plus des mesures publiques de sécurité, les commerçants du quartier prenaient des initiatives propres. Dans ce cadre, l’Hôtel Dauphin allait recruter à partir de 1974 un portier de nuit. Le manque d’emplacements de parking, le trafic à l’avenue de la Gare, l’absence d’un pont avec Bonnevoie représentaient d’autres facteurs qui influençaient négativement le commerce au quartier de la gare. Le Syndicat des Intérêts Publics, s’engagea pour ces questions, et notamment pour l’aménagement de zones piétonnes et un nouveau concept de circulation dans le quartier. De leur côté, les commerçants du quartier s’étaient réunis dès 1977 en « Akafszenter Al Avenue- AAA » pour le côté animation de l’avenue. Cette association lança ses conférences de presse dans les salons de l’Hôtel Dauphin. L’AAA organisait des concours pour leur clientèle et le sort des gagnants fut également tiré à l’Hôtel. L’AAA exposait en 1979, toujours dans les salons de l’établissement, la maquette pour la construction du « parking de la gare ». Ce projet n’allait toutefois se réaliser que dans le cadre de l’arrivée du TGV à Luxembourg, en 2007 !

A partir de 1975, l’Hôtel Dauphin, qui ne proposa pas de parkings propres, louait plusieurs emplacements au parking Neipperg qui venait d’ouvrir. Il les loua à ses clients. Il fallut attendre les années 1980 pour voir l’aménagement de la place de Paris suite à l’ouverture d’un deuxième parking souterrain, celui à la place des Martyrs.

1998 – fermeture après 40 ans

La société sàrl Hotel Dauphin cessa ses activités en 1998 et la société fut dissoute la même année. L’immeuble fut intégré dans les transformations de l’immeuble Monopol. Avec la cessation des activités de ce grand magasin en 2006, le complexe immobilier passa au développeur immobilier néerlandais Breevast. Tout le complexe Monopol-Hôtel Dauphin fut démoli en 2009. Un nouvel immeuble de commerces, bureaux et logements avec 8557 m2 de surfaces  y a vu le jour suivant les plans du bureau d’architecture Beiler + François.

 

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