Hotel Gaisser à la Porte Neuve

Robert L. Philippart

L’ancien Hôtel Gaisser occupait les N°22-26 à l’Avenue de la Porte Neuve. L’îlot cerné par la rue des Bains et la rue Beaumont a été démoli en 1973, pour être remplacé par un immeuble commercial dessiné par l’architecte Paul Retter.

L'hôtelier Wurth  

Du temps de la forteresse, cet îlot se trouvait à proximité immédiate de la Porte Neuve.

L’actuel carrefour formé par la rue des Bains et l’Avenue de la Porte Neuve (direction Bains Municipaux) était occupé par l’aile sud (90 m de façade) des casernes de la Porte Neuve. Suite à la suppression de la forteresse le 11 mai 1867, en vertu du Traité de Londres et le démantèlement des ouvrages militaires qui s’en suivit, la Porte Neuve, datant de 1627, était vouée à la disparition. Au moment du commencement des travaux de démolition de vaines protestations des habitants des rues adjacentes s’élevaient contre l’enlèvement de la statue (1636) de la Sainte Vierge, patronne de la Ville et du pays. François Wurth-Fendius, propriétaire de l’Hôtel de Cologne, sis à l’Avenue de la Porte Neuve (immeuble Bourse) avait acquis en 1873 la parcelle (N°20 Avenue de la Porte Neuve) nouvellement créée et formant l’angle de rue.  Il  y construit une maison de rapport, mais aménageait le pan coupé de l’îlot en un édicule en honneur de la Patronne du Pays. La statue ayant jadis ornée la Porte Neuve y trouvait un nouvel emplacement dès le 14 mai 1876. Il faut souligner que ce monument religieux fut à caractère privé et non public. Enlevée dans le cadre de la démolition de tout l’îlot cerné par la rue des Bains et la rue Beaumont (1973), la statue de la Vierge retrouva un nouvel emplacement en novembre 1976 au-dessus du portique du bâtiment Forum Royal.  Les pierres en provenance de l’ancien édicule ont été conservées par l’éditeur François Mersch. La statue originale est exposée au Musée 3 Eechelen.

L’auberge Gindorff – rendez-vous des postillons

Le coin formé par la rue Beaumont et l’Avenue de la Porte Neuve était occupé du temps de la forteresse par l’auberge  d’Henri Gindorff, marchand, qui logeait des postillons installés à la Porte Neuve.  Son fils Alphonse continuait à exploiter le commerce de son père. Le bâtiment conservait jusqu’à sa démolition en 1973 le piquet d’alignement  placé avant 1581 pour tracer la rue de la Porte Neuve. La proximité de l’entrée unique en la ville Haute explique également la concentration d’établissements d’hébergement dans ses alentours.  Gindorff possédait, tout comme l’Hôtel de Cologne de «grosse und bequeme Stallungen ». Alphonse Gindorff et François Wurth-Fendius soutenaient en 1872 l’initiative en faveur de l’érection d’un monument en honneur de la Princesse Amélie, épouse du Prince-Lieutenant Henri. Tout projet qui allait augmenter l’attrait de la ville jouait en faveur de leur commerce.

La veuve Gindorff reprit les activités jusqu’en 1890, puis ses héritiers vendaient son commerce à D. Ries-Christen, dont la clientèle appréciait plus particulièrement son Kuddelfléck. Joseph Kremer  allait reprendre en 1896 le restaurant.

Le Restaurant Schlim

Depuis le début du XIXe siècle, la maison sise entre Gindorff et la caserne sud de la Porte Neuve appartenait à la famille Jean Kirpach, marchand de vins habitant au Pfaffenthal. En 1854 la propriété fut divisée en deux lots, l’une allant être occupée par François Kirpach-Schlim, l’autre partie par le frère de son épouse, Jean-Pierre Schlim, fabricant de chaises. L’immeuble disposait d’écuries, de dépendances et d’une cour intérieure.

En 1877, suite au réaménagement du site de la Porte Neuve, François Kirpach-Schlim allait procéder à une nouvelle construction, celle qui va héberger le futur Hôtel Gaisser.  Le morcellement en deux parcelles cadastrales sera toutefois maintenu. Catherine Schlim (1860-1938), la nièce de François Kirpach-Schlim,  avait épousée en 1881 le gantier Joseph Molin (1852-1893). Après le décès de son mari, elle avait ouvert  à l’Avenue de la Porte Neuve, le restaurant « Café-Restaurant Schlim ». En 1895 elle épousa en secondes noces  Mathias Wellenstein (1856-1938), qui reprit l’établissement à son nom. « Wellenstein-Schlim »  servait « kalte und warme Speisen zu jeder Zeit » et acceptait des pensionnaires à des prix modérés. Le pensionnaire le plus célèbre de cette époque, fut l’homme le plus fort au monde, John Grun. En 1898, Mathias Wellenstein-Schlim transféra son restaurant au coin avenue Monterey, rue Philippe II (ancien Café de la Poste).

L’Hôtel Gaisser

A partir de 1899 François-Joseph Gaisser et Marie Seiler logeaient dans la partie de l’immeuble réservée à la famille Schlim. En octobre 1900, les héritiers du couple François Kirpach-Schlim vendaient la propriété à l’avenue de la Porte Neuve à François-Joseph Gaisser (1875-1909). Né à Buchrain au canton de Lucerne, Gaisser a été naturalisé en 1903. Il avait épousé la Luxembourgeoise, Marie Seiler (1875-1949). 

Le restaurant proposait une « gut bürgerliche Küche » ainsi qu’un « billiger Mittagstisch » pour les employés et les artisans travaillant dans les alentours. En 1904, François-Joseph Gaisser était membre fondateur de « Luxembourg Attractions », l’association pour le développement touristique de la capitale, à l’origine de l’actuel Luxembourg City Tourist Office. A son décès, son épouse allait poursuivre les activités en offrant des plats froids et chauds servis à toute heure, du « Kaffee mit Butterbrot ». Elle accueillait des pensionnaires  pour des prix modiques. En 1911, à l’image de l’Hôtel Entringer, de l’Hôtel de la Maison Rouge et du restaurant « An der Stuff », elle proposait un « Mittagstisch » spécial pour les étudiants ». Les pèlerins de l’Octave furent visés par des offres particulières, comme il fut de pratique par une large gamme de commerces et de services de restauration en ville.  La veuve Gaisser  allait épouser Alphonse Bisenius (1872-1944). 

La première guerre Mondiale

Pendant la première guerre mondiale, l’auberge servit du pain avec du beurre et du fromage. Le couple  Bisenius-Seiler acquit en août 1916 la maison Gindorff pour agrandir son hôtel. La maison proposait dès lors des chambres élégantes bénéficiant de l’éclairage électrique. A partir de 1917, l’hôtel louait des chambres en pension complète à une clientèle d’étudiants et poursuivit la tradition du « Mittagstisch ».  Parmi cette clientèle de jeunes, il y eut un drame accablant : le 14 septembre 1919 un couple amoureux se suicidait dans une des chambres de l’hôtel, parce que leurs parents s’étaient opposés à leur mariage.

En 1918, pour servir sa clientèle étrangère, constituée d’employés en voyage professionnel, la famille Bisenius recrutait des femmes de chambres pouvant s’exprimer en français et en allemand. 

Hôtel Gaisser- Hôtel Clesse

Le couple Bisenius-Seiler croyait fort en la destination de Luxembourg en achetant en août 1919 l’Hôtel Clesse à l’Avenue de la Gare. Pour financer ce projet, il mettait en vente l’Hôtel Gaisser à l’avenue de la Porte Neuve, mais ne le passait pas en adjudication. Pour se procurer des ressources Bisenius fut finalement mêlé à une affaire de trafic de farine sur le marché noir. En 1926, Othon Gaisser-Reding acheta l’Hôtel Clesse à ses parents, réglant ainsi les questions de financement et d’héritage. Rappelons qu’en 1925 Othon Gaisser avait été membre fondateur de l’association des hôteliers du Grand-Duché de Luxembourg.

Alphonse Bisenius et Marie Seiler continuaient à exploiter l’Hôtel Gaisser et faisaient installer le chauffage central comme nouveau service. Les chambres pouvaient être louées à l’année. Des représentants de commerce étrangers s’y installaient pendant la durée de leurs affaires, tout comme des répétiteurs qui y offraient leurs  cours d’apprentissages. D’autres clients logeaient à l’hôtel pendant la recherche d’un logement à Luxembourg. En 1923 des coureurs de la course cycliste Luxembourg-Nancy résidaient à l’Hôtel Gaisser.

Grand Hôtel Gaisser

Les fonds récoltés par la vente de l’Hôtel Clesse permettaient d’investir dans les infrastructures. En 1927, les travaux commençaient pour équiper les chambres d’eau chaude et froide, de salles de bains. La location au mois ou à la semaine fut proposée aux clients avec ou sans petit déjeuner. L’établissement  offrait 40 chambres en 1938. La cour de l’ancienne maison Gindorff intégrée à l’hôtel permettait en mai 1934 une exposition surprenante de camions, de tracteurs et de voitures de la marque automobile « Ford ». Pour cette action commerciale du 7 au 15 mai, l’Hôtel prit le nom de « Grand Hôtel Gaisser ». Cet type d’activité fut suivie d’autres expositions et de ventes, mais plus modestes.

L’Hôtel Gaisser allait accueillir une des espionnes majeures du régime nazi au Luxembourg. Fin 1933, la baronne Mira von Schorlemer s’était installée à l’hôtel prétextant être en fuite devant les nazis. En réalité, elle représentait la « Arbeitsgemeinschaft der deutschen Frau im Ausland- Landesgruppe Luxemburg „. Définitivement installée à la rue Aldringen, elle oeuvrait en faveur de l’Occupant durant les années de guerre. (D’Unioun 20.09.1946). En janvier 1940, le Café Gaisser avait rouvert après d’amples transformations. Il  proposait du buffet froid, des vins, apéritifs et liqueurs en dégustation, servait de la bière Mousel.  L’espace d’exposition avait été transformé en trois salles de réunions pour sociétés et comités.

Lucien Amberg et Télédisc

Suite au décès de Marie Bisenius-Seiler en 1949, les héritiers ont loué à l’hôtelier Lucien Amberg. De nouvelles rénovations eurent lieu au rez-de-chaussée de l’immeuble. Le nombre de chambres avait été ramené de 40 à 33. L’équipe de football d’Indochine venue jouer un championnat européen à Luxembourg logeait à l’Hôtel Gaisser.

Les nouveaux locaux situés le long de l’Avenue de la Porte Neuve présentaient quatre grandes vitrines commerciales  et furent loués au marchand de mobilier Louis Küntsch. A la fin des années 1960 « Télédisque » s’y était installé et était devenu le rendez-vous des lycéens. L’Hôtel continua de fonctionner avec l’adresse à la rue Beaumont sans passer à des investissements en vue de modernisations futures.  L’établissement ne figure plus au Guide officiel des hôtels de 1972. En 1973, tout l’îlot va disparaître.